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L’écologie contre les femmes ?
dimanche, 21 février 2010 / Sylvie Brunel

Telle est la thèse d’Elisabeth Badinter dans son dernier livre. Dès 2008, la géographe Sylvie Brunel soulevait la question dans un petit livre vert, « A qui profite le développement durable ? » (Larousse), qui vient de se voir primé par l’Académie des sciences morales et politiques. Extrait.

Soyez un éco-citoyen », vous serine-t-on à longueur de médias. S’ensuit un catéchisme de petites actions quotidiennes à mener. Les femmes sont-elles gagnantes à se convertir au développement durable tel qu’il est décliné ? Rien n’est moins sûr.

Ainsi, elles se doivent de bannir les hypermarchés. Une mère de famille active qui doit préparer chaque jour les repas d’une ribambelle d’affamés en pleine croissance a –t-elle la possibilité de nourrir toute la famille en se rendant tour à tour chez le crémier, le maraîcher, l’épicier, le poissonnier … ? La perte de temps est colossale et les coûts prohibitifs. Sans compter que la planète n’y gagne pas forcément : se servir chez les petits détaillants multiplie les déplacements, sauf quand on a la chance et les moyens d’habiter dans les quartiers boboïsés des villes.

Qu’à cela ne tienne : vous êtes censés faire vos déplacements à pied ou à vélo. Prévoyez alors deux énormes sacoches attachées au porte-bagages et de l’énergie à revendre dans les mollets. Pas grave : dans l’intervalle, vous avez cessé de travailler, puisque toutes vos journées se passent d’abord à vous approvisionner, ensuite à préparer vous-même vos repas, avec des produits de qualité, mais qui ne se conservent pas, bio oblige. Ainsi vous fabriquez désormais votre pain, vos conserves, vos confitures, vos yaourts et concoctez des soupes maison. Vos enfants ont retrouvé ce sacro-saint « sens du goût ». Ils ont aussi une mère au foyer, dont ils comprennent vite qu’elle était tout entière vouée aux tâches domestiques, ce qui les rend vaguement méprisants et très dictatoriaux.

Très vite, vos convictions militantes vous transforment en un être taillable et corvéable à merci, qui a perdu de vue toutes les commodités que la vie moderne pouvait lui apporter. Car il vous faut aussi, pour vous comporter en éco-citoyenne, se chauffer au bois, ne plus employer de couches et de mouchoirs jetables, mais des linges réutilisables, que vous lavez soigneusement lorsqu’ils sont souillés. Le bilan environnemental de toute cette eau et cette lessive est-il favorable ? Pas sûr, surtout si l’on prend en compte votre temps de travail, gaspillé à des tâches que nos grands-mères ont jeté aux oubliettes avec soulagement.

Mais dans la nouvelle idéologie du développement durable, le temps de travail ne vaut plus rien : si la tâche de l’homme, et surtout de la femme, permet de « sauvegarder la planète », l’énergie humaine et le temps passé n’ont aucune importance.

L’objectif premier du développement était pourtant de libérer l’être humain des contraintes matérielles. Le catéchisme qui nous est décliné aujourd’hui implique trop souvent un vaste retour en arrière. Vous pouvez vous consoler en pensant à votre grande solidarité de destin avec les paysannes des campagnes africaines.

- Sylvie Brunel, Manuel de guérilla à l’usage des femmes, Grasset, 2009