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Gilles Bœuf : “On ne sauvera pas l’humain sans la nature”
vendredi, 19 février 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

2010 : année de la biodiversité. Alors qu’on tente de relancer les négociations sur le climat, les biologistes rappellent qu’il faut aussi sauver le vivant. Car le salut de l’homme tient à la variété des espèces, souligne Gilles Bœuf, le président du Muséum national d’histoire naturelle.

Terra eco : Pourquoi la biodiversité est-elle en danger aujourd’hui ? A cause du changement climatique ?

Gilles Boeuf : "Pas seulement. En fait, la disparition de la biodiversité n’est due que pour un quart au changement climatique. L’extinction des espèces est surtout causée par la destruction, la pollution de notre monde et aussi par la surexploitation des ressources. L’homme est aujourd’hui la plus puissante force évolutive de la planète.

La situation est-elle préoccupante ?

"Aujourd’hui, il y a 1,9 million d’espèces connues dans le monde. Mais, selon nos estimations, il pourrait exister, 10, 30 ou 50 millions d’espèces ! Le problème c’est qu’elles disparaissent très vite. En 2005, l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire [un travail scientifique de synthèse commandé par les Nations Unies et auquel on participé 1 360 scientifiques à travers le monde] a montré que les espèces disparaissaient 1 000 fois plus vite aujourd’hui que leur rythme naturel. Avant l’arrivée de l’humain, une espèce sur 1 000 disparaissait tous les mille ans, aujourd’hui, c’est une sur 1 000 qui disparaît chaque année ! Sommes nous en train de créer les conditions de la sixième grande extinction ? [1] Si ça continue à ce rythme, deux tiers des espèces seront éteintes en 2100. Car si on touche à une espèce, on atteint aussi les autres. Si l’éléphant d’Afrique disparaît, les scarabées qui mange sa bouse sont voués à l’extinction..."

Le recul de la biodiversité représente-il un vrai danger pour l’homme ?

"Bien sûr. Prenez l’agriculture par exemple. S’il n’y a plus qu’une seule espèce, on produira moins. Car le rendement en monoculture est moins bon que si on cultive plusieurs espèces en même temps. La biodiversité est aussi le meilleur outil contre les espèces invasives. Si un pathogène attaque une culture, on sera bien content qu’il y en ait une autre, plus résistante. Si les espèces disparaissent massivement, comment parviendrons-nous à nourrir demain une population de 9 milliards d’individus ? Par ailleurs, la biodiversité est aussi essentielle pour la médecine. La moitié des médicaments sont tirés de produits naturels ou synthétisés à partir de plantes. Et des espèces a priori insignifiantes comme le ver de terre ou l’hydre d’eau peuvent être très utiles à la recherche. Qui vous dit que ce végétal disparu hier ou avant-hier dans la forêt amazonienne ne contenait pas un super anti-tumoral ? Reste enfin l’aspect éthique et esthétique, si précieux à la vie de l’être humain. Une chose est sûre, on ne sauvera pas l’humain sans la nature."

Que font les instances internationales ?

"En fait, dès 2000, on avait décrété qu’il fallait freiner l’érosion de la biodiversité à l’horizon 2010. Mais l’échéance est atteinte et très honnêtement la disparition des espèces n’a aucune chance de s’arrêter le 31 décembre. Alors il faut continuer. L’Onu a décrété l’année 2010, année de la biodiversité. L’étape essentielle de ces prochains mois sera la conférence internationale à Nagoya, au Japon, du 18 au 29 octobre. Et il ne faut pas que ça se passe comme Copenhague ! Pour cela, nous nous organisons à plusieurs niveaux. En France, le gouvernement a monté la Force B. L’objectif de ce groupe constitué de 14 personnes dont 4 scientifiques est d’agir plus vite que les ministères. Nous organisons la semaine française de la biodiversité en mai à Chamonix mais aussi des séries de conférences... Au niveau international, nous travaillons à fonder l’IPBES [plate-forme scientifique intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques], un groupe international de chercheurs qui travailleraient un peu à la façon du Giec. L’idée c’est de rassembler toute l’information sur la biodiversité et de faire paraître des rapports à intervalle régulier. D’ailleurs, le gouvernement aimerait bien que la France en assure la présidence."

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- Photo : Mathieu Carton/MNHN
- L’année internationale de la biodiversité sur le site de l’Unesco