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"Les attaques des climato-sceptiques contre le Giec sont organisées"
mercredi, 17 février 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (Giec) est dans une mauvaise passe. Accusée d’avoir gonflé le péril climatique avant le sommet de Copenhague, l’institution est aujourd’hui critiquée dans son fonctionnement même et ses rapports remis en question. Va-t-il y laisser des plumes ? D’où viennent les attaques ? L’avis de Stéphane Hallegatte, économiste, ingénieur à Météo France et collaborateur du Giec.

Terra eco : Le Giec est-il en train de perdre sa crédibilité ?

Stéphane Hallegatte : "Ces attaques récentes ne sont pas très bonnes pour sa crédibilité. Mais elles sont assez attendues. Tout simplement parce que le climat est devenu un sujet sensible. Reste qu’aucune autre organisation ne peut publier un rapport validé par 194 pays membres ! Évidemment, on ne peut pas nier qu’il comprenne quelques erreurs. Mais la crédibilité du Giec est toujours là. J’aurais même tendance à dire qu’elle s’est peut-être améliorée. Jusqu’ici on mettait un peu trop le Giec sur un piédestal, comme s’il n’y avait pas d’erreurs possibles, pas de conflits de personnes. Mais les scientifiques ne sont pas au dessus du commun des mortels.Ce qui est inquiétant ce n’est pas ces attaques, c’est la tendance sceptique actuelle... Les gens s’engouffrent dans la brèche. Attaquer le Giec c’est une chose mais attaquer le changement climatique en est une autre. Ces attaques sont organisées, coordonnées."

Terra eco : Par qui ?

"Elles sont extrêmement liées à la loi américaine sur le climat en discussion au Sénat. Quand on essaye de faire monter les États-Unis à bord, on se retrouve dans leur monde politique, un univers de lobby avec des pressions de chaque côté. C’était la même chose au moment du passage de la loi sur la santé. Je ne sais pas d’où sont orchestrées ces attaques. C’est vrai que beaucoup sont sorties dans la presse anglaise, via le groupe Murdoch qui détient notamment le Sunday Times. On connaît aussi la position du Heartland Institute, un think tank américain qui, dans les années 90 assurait que le tabac n’était pas mauvais pour la santé et qui tente aujourd’hui de démontrer que l’homme n’est pas responsable du changement climatique. Ce que je sais en revanche, c’est que ces attaques profitent d’un moment de flou. Au lendemain de Copenhague, les gens se sont demandés si les négociations au sein de la Convention sur le climat allaient continuer. De leur côté, les politiques sont sortis assez refroidis de la conférence. En forçant un peu, il y a des chances qu’ils laissent la question passer au second plan. Alors c’est le bon moment pour attaquer la base."

Le Giec a-t-il mal réagi aux attaques ?

"Sur le cas du recul des Glaciers de l’Himalaya [dans son rapport de 2007 le Giec assurait qu’ils auraient disparu en 2035] , l’erreur était incontestable. Or, il a fallu plusieurs semaines pour que le Giec publie un document corrigé. Le délai a transformé une souris en montagne. Mais voilà, au secrétariat du Giec, il y a une dizaine de personnes dont le métier n’est pas de réagir à ce genre d’attaques. Ce ne sont pas des communicants. Et ils n’ont peut-être pas pressenti que cette histoire allait prendre une telle ampleur."

Est-il temps de réformer le Giec ?

"On peut sans doute l’améliorer. La plupart des erreurs proviennent de ce qu’on appelle la littérature grise [des informations tirées de rapports locaux] qui n’est pas revue par la communauté scientifique. En 2007, beaucoup de gens avaient fait pression pour qu’on intègre cette littérature. L’idée était d’inclure davantage les pays en développement qui publient assez peu dans les journaux scientifiques classiques. Mais comme les révisions initiales ne sont pas faites sur ces rapports, c’était au Giec de le faire. Or, il y a un problème de moyens. Les scientifiques qui participent au Giec le font de manière bénévole, ils ne peuvent pas tout revoir. Il va inévitablement falloir grossir le secrétariat du Giec, embaucher des gens capables de faire ce travail de révision. Ça permettra d’éviter ce type d’erreurs. Certes, le Giec n’est pas parfait mais ce n’est pas pour ça qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain. Tout le monde reconnaît l’utilité de cet organisme indépendant avec un système de revue strict. Ce qui sort du Giec n’a pas le même statut que ce qui sort du Teri Insitute de Pachauri [le président du Giec] ou du Heartland Institute."

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