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Jean Viard : "Ne voyons pas les retraités comme une charge pour la société"
mercredi, 17 février 2010 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Le sommet social du début de semaine a marqué le coup d’envoi du débat sur la réforme des retraites, pour l’instant focalisé sur la durée des cotisations et l’âge du départ en retraite. Et si on élargissait le débat ? Trois questions à Jean Viard, sociologue et directeur de recherches au Centre d’étude de la vie politique française (Cevipof).

Terra eco : Quelle est votre vision de l’évolution des retraites ?

Jean Viard : "La société a changé, elle est dominée par la culture du temps libre, qui s’exprime notamment au moment de la retraite. On est passé grosso modo de 100 000 heures de loisirs au cours de la vie (c’est à dire hors travail, sommeil et études) en 1900 à 400 000 heures aujourd’hui. Beaucoup de gens ont une période de minimum 20 ans où ils ont de nouveaux projets. Mais en 1945 le système n’a pas été créé avec cette idée de vie après le travail, on n’a pas inventé les règles qui vont avec cette nouvelle étape. Pour les nouvelles générations, il faudrait se mettre à calculer en heures, pouvoir suivre au fur et à mesure combien on doit à la société. Si une année je veux travailler comme un fou 50 heures par semaines puis partir 6 mois avec ma copine au Bangladesh, pourquoi pas ? Il faut aussi laisser la possibilité de partir à la retraite à mi-temps. Il faut rendre les acteurs responsables, possesseurs de leur temps."

Et du côté financier ?

"Aujourd’hui les retraites sont un monde obscur et personne ne sait ce qu’il touchera. C’est donc essentiel de mettre des barrières fortes car la peur de vieillir pauvre est très forte. Pour moi un geste politique majeur serait de dire qu’on ne laissera personne avoir moins d’un certain revenu. C’est une question de morale, on ne peut pas laisser quelqu’un de 70 ans avec 300 euros par mois. Mais il faut compter que la situation est différente quand on est propriétaire de sa maison ou qu’on touche deux loyers. La poche de pauvreté se situe surtout au niveau des femmes seules, qui ont souvent travaillé à mi-temps. Et est-ce qu’on ne peut pas avoir une réflexion plus large sur la question des revenus dans notre société ? On dit qu’il faut cotiser plus mais le système empêche les gens de travailler plus longtemps. Je pense qu’il faut arrêter la progression des salaires après 50 ans comme l’ont fait beaucoup de pays développés. A cet âge là les enfants sont élevés, on a fini de rembourser ses emprunt... C’est quand on a 30 ans qu’on a besoin d’un revenu fort. Le problème c’est qu’en France le salaire est lié au statut, au prestige, pas au besoin. Quand on gagne plus, on est plus puissant. Sauf que du coup on vous fout dehors."

Le débat est donc selon vous trop restreint...

"Environ la moitié des retraités rêvent de déménager pour retrouver leur région d’origine ou celle où ils passaient leurs vacances. C’est donc aussi une question géographique, et un enjeu majeur pour libérer du logement en centre-ville. Il faut penser le retraité comme un aménageur du territoire, au même titre que le tourisme par le passé. Je conseillai au maire d’Apt (Vaucluse) qui fait face à une zone industrielle en faillite : « pourquoi ne négocies-tu pas avec Paris pour faire des HLM ? Tu aurais 2 000 mecs vachement contents au cœur du Lubéron et 2 000 logements de moins à construire à Paris. » Cette migration peut être intégrée dans une stratégie de densification de l’étalement urbain, car les immeubles de quelques étages où l’on n’est pas loin du centre-ville et où l’on peut faire ses courses à pied correspondent à leur mode de vie. Les retraités sont aussi de grands moteurs en terme de liens social, par exemple ils sont très impliqués dans le secteur associatif. Là aussi il y a un autre champ de réflexion, car on parle à terme de 20 millions de personnes. Ils ne sont pas une charge pour la société mais une ressource pour un territoire. Surtout si on se place au niveau européen : la France peut être la première terre d’accueil de riches retraités, qui sont créateurs d’emplois. C’est comme une industrie lourde, un énorme secteur économique qui se met en place."

Jean Viard est spécialiste des questions des temps sociaux (vacances, 35 h) et d’espace (aménagement, agriculture). Il a notamment publié aux éditions de l’Aube, dont il est fondateur, "Le Sacre du temps libre, la société des 35 heures" (en 2002) et "Lettre aux paysans sur un monde durable" (en 2009).

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