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jeudi, 16 septembre 2004
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Bruno D., 41 ans, et Francis T., 51 ans ont un point commun : ils ont mené plusieurs plans sociaux, engagé des centaines de licenciements. Isabelle Pivert livre leurs témoignages. Extraits.
Extrait de l’entretien avec Bruno D., 41 ans, directeur des ressources humaines, "un homme grand, au physique agréable, qui semble très à l’aise". Bruno D. a pratiqué plusieurs plans sociaux, de 1992 à 2002, en France et en Espagne.
B.D. : J’ai eu le cas d’un ouvrier que je rencontrais en entretien, car même si on n’avait pas l’obligation de l’entretien compte tenu du nombre de personnes licenciées, on le faisait quand même... J’ai vu quelqu’un qui s’est déshabillé dans mon bureau pour me montrer ses cicatrices à la jambe et sur le torse. A cet instant-là, on se dit qu’on a quelqu’un en face de soi qui en arrive à une telle détresse qu’il est capable de se déshabiller...
Cette personne s’est retrouvée en sous-vêtement dans mon bureau, et, moi, je ne savais plus quoi faire. C’était déroutant. A ce moment-là, on mesure la détresse des gens, en se disant qu’il n’y a pas de limite, en arriver là... Ce n’était pas du cinéma, c’était vraiment quelqu’un qui voulait aller au bout, montrer ce qui n’allait pas, son problème, son problème était physique ; il avait été opéré, aux jambes, aux bras, et cela signifiait : voilà, moi j’ai mon corps qui ne me portera pas demain pour rechercher autre chose, voilà ma détresse, elle est aussi physique, et finalement au moment où je perds mon emploi chez vous, l’état physique dans lequel je suis ne me permettra pas de trouver quelque chose...
Je crois qu’il faut aussi répondre à cela, regarder les gens, et puis écouter, écouter tout ce qu’ils ont à dire, toute leur détresse, toutes leurs inquiétudes. Et surtout pour moi ce qui était important - pour moi le premier plan social, c’était aussi un moment difficile - et ce que j’ai retenu pour la suite, c’est qu’il faut aussi parler aux gens, leur parler franchement, sincèrement. A aucun moment je n’ai cherché à éluder ou donner des raisons autres que celles qui nous avaient amenés à prendre cette décision. Dans les faits, l’application des critères faisait qu’on envisageait le licenciement pour cette personne-là, et il a fallu lui dire des choses abruptes. Mais le fait de dire des choses de façon entière, c’est une marque de respect, c’est qu’on était sincère, il n’y avait pas de demi-mot, pas de mensonges, ce n’était pas raconter n’importe quoi, c’était dire la vérité, même si parfois elle est brutale...
Et ce qui m’a beaucoup surpris, dans ces entretiens, je parle toujours de mon premier plan social, c’étaient des gens qui partaient en disant merci. Merci, parce que je les avais écoutés, parce que je leur avais dit les choses avec sincérité. Il n’y avait pas eu de jeu entre eux et moi. Les choses avaient été crues d’un côté comme de l’autre, mais sincères.
Extrait de l’entretien avec Francis T., 51 ans, "un homme au front impressionnant, presque chauve, de taille imposante". Francis T. a été directeur général et directeur des ressources humaines dans plusieurs secteurs dont le secteur automobile. Sur une période de vingt ans, il a participé à des plans sociaux représentants un ensemble de 3000 licenciements. Sur ce total, il s’est "occupé complètement" d’"un peu moins de 1000 personnes".
Parce que si on revient juste une demi-minute sur la société : quelle est la finalité d’enrichir quelques milliers de personnes déjà très riches, encore plus maintenant ? Il faut quand même se rappeler que 20% de la population mondiale a un dollar par jour et 45% vit avec deux dollars par jour. C’est quand même pas beaucoup. A mon avis, pour le moment, le communisme est complètement tombé, c’était nocif.
Mais il y a un gros mouvement excessif, un excès de libéralisme. Les hommes, les femmes, les enfants, c’est quand même le plus précieux d’une société. Il faut à mon avis d’un point de vue politique que tout le monde puisse vivre, même s’il faut une certaine exigence vis-à-vis de tous. Certaines entreprises se préoccupent trop peu de la société.
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Isabelle Pivert. Plan social. Entretien avec des licencieurs. Editions du Sextant, 2004, 120 pages, 15,5 euros. Pour commander l’ouvrage : écrire aux Editions du Sextant - 185, rue Ordener, 75018 Paris. Ou editions.sextant@wanadoo.fr JPEG - 39.2 ko 196 x 300 pixels |