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Seniors : comment les remettre (ou les garder) au boulot
mercredi, 10 février 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Non, la vie ne professionnelle ne s’arrête pas après 55 ans. Avec l’allègement probable de la durée de cotisation, des armées de têtes grises vont rester plus longtemps dans les entreprises. Du coup, le gouvernement a décidé d’adoucir leur fin de carrière et voté une loi, en vigueur depuis le 1er janvier dernier. Mais va-t-elle vraiment fonctionner ?

Chez Rhodia, on aime ses têtes grises. Depuis le 1er janvier 2010, les plus de 50 ans peuvent chômer un jour par semaine pour bercer leurs petits-enfants, demander qu’une jeune recrue les forme à internet ou aux rudiments de l’anglais. Une aubaine pour l’entreprise : “Les seniors représentent un tiers de nos effectifs, souligne Jean-Christophe Sciberras, directeur des Ressources Humaines. Cette catégorie est au cœur de l’entreprise et de son avenir.” Une chance pour les salariés aussi : “La retraite, c’est une cassure, pas toujours facile à vivre. Ce passage à temps partiel permet d’organiser leur vie future, de s’impliquer dans la vie associative par exemple.” Mais en échange de ce temps de loisir, l’employé devra rester dans l’entreprise, une fois sonnée l’heure de la retraite. En clair, chez Rhodia, on cherche à garder ses employés le plus longtemps possible dans les meilleures conditions.

Une position qui sera bientôt celle de nombreuses entreprises. Car avec l’arrivée à la retraite des baby boomers, les actifs devront demeurer plus longtemps derrière leur bureau, leur établi ou leur atelier d’usine pour équilibrer les comptes. La France y est mal préparée. “On nous dit qu’il va falloir travailler jusqu’à 65 ans. A 45 ans, on n’est donc qu’à la moitié de sa carrière ! Et pourtant, c’est l’âge à partir duquel on a du mal à se faire embaucher“, confie Anne Saüt, directrice de Diversity Conseils. Une réalité très française. Selon des chiffres publiés par le ministère du Travail en 2009, seuls 39% des 55 à 64 ans sont en activité en France, contre 53% aux Pays Bas, 58% au Royaume-Uni ou... 70 % en Suède. La France est loin de la moyenne européenne (46%) et encore plus loin de l’objectif européen qui vise un taux de 50% en 2010. La raison ? Le principe des pré-retraites longtemps mis en avant par le gouvernement. “On a longtemps soutenu – à tort - qu’en mettant les seniors en pré-retraites, on créait des emplois jeunes”, souligne Tristan de Feuilhade, du cabinet Midlife conseil, une agence spécialisée sur le milieu de carrière.

De pures mesures de communication ?

Les pouvoirs publics ont décidé de se saisir du problème. Depuis le 1er janvier, les entreprises de plus de 50 salariés sont tenues d’afficher à leur porte un plan senior. En clair, elles doivent avoir signé avec leur personnel des mesures pour favoriser l’entrée des seniors, améliorer leur vie au travail ou aménager leur transition vers la porte. Celles qui ne voudraient pas s’y plier devront payer une amende de 1% de leur masse salariale. Seules les PME de moins de 300 salariés ont obtenu un délai de trois mois. Et c’est bien pour respecter la loi que Rhodia a pris ses mesures. Mais voilà, vont-elles être efficaces ? La CGT, qui a refusé de signer l’accord d’entreprise ne cache pas son incrédulité. “Le salarié qui choisira les 80% devra repousser son départ à la retraite. L’esprit de la loi c’est de faire en sorte que le senior soit intéressé par son activité jusqu’au bout, pas de prolonger son temps de travail ! ”, s’insurge le syndicaliste Bernard Ughetto. De toute façon, “Ça n’aura aucun effet. La direction le reconnaît elle-même, soutient-il. C’est une pure mesure de communication.” Une affirmation que réfute catégoriquement la direction.

Des mesures gadgets, il y en a. Il faut dire que le terme de la loi est assez flou. Les entreprises doivent simplement signer un accord d’entreprise en faveur des seniors, sans être tenu à des objectifs chiffrés précis. “C’est un premier pas, tempère néanmoins Anne Saüs. En 2008, des entreprises avaient déjà commencé à bouger sur le sujet. Mais la crise a mis fin à tout ça. Il faut maintenant remettre le pied à l’étrier. Et cette loi va permettre d’accélérer les choses.” “Elle a le mérite d’obliger les entreprises à réfléchir à cette question, opine Tristan de Feuilhade. Mais pour le moment les mesures de coercition ne sont pas en place. On voit mal comment concrètement à la fin de l’année la pénalité va être recouvrée, par qui et comment.”

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Photo : Jamelah