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France : qui tire les ficelles du bifteck ?
dimanche, 31 janvier 2010
/ Matthieu Auzanneau / Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde |
De l’argent et de très bonnes relations avec l’Etat, voici les deux mamelles de la filière viande pour promouvoir ses produits. Et fermer le clapet à ses détracteurs.
Les éleveurs français sont sur la défensive. Il y a d’abord eu Bidoche, un brûlot contre « l’industrie de la viande », publié en septembre 2009 par le journaliste Fabrice Nicolino. Puis, durant la conférence de Copenhague sur le climat, il y a eu la grève de la viande suivie par plusieurs figures de l’écologie, comme Corinne Lepage, Yves Cochet ou Allain Bougrain Dubourg. Enfin, papy McCartney en a remis une couche avec une campagne de presse plutôt percutante. L’ancien Beatles, le plus célèbre végétarien du monde, appelle à l’instauration de journées sans viande « pour sauver la planète ».
La riposte de la filière de l’élevage a été à la hauteur du défi lancé à une activité qui, en France, représente le premier secteur de l’agroalimentaire avec 55 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. La contre-offensive lancée par l’Association interprofessionnelle de la viande bovine durant la conférence de Copenhague a été diffusée dans 4 quotidiens nationaux. Seuls 2 des 57 journaux régionaux de l’Hexagone ont refusé de la publier. Les éleveurs français mettent en avant deux arguments-clés et inédits : non seulement les émissions de gaz à effet de serre de l’élevage français seraient surévaluées, mais en plus celles-ci seraient en diminution depuis deux décennies.
Second élément du plaidoyer : Caroline Guinot, spécialiste des questions d’environnement au Centre d’information des viandes (CIV), affirme que l’élevage bovin français est l’une des seules activités qui réduit son impact sur le climat, contrairement aux transports ou à l’habitat. Aucun chiffre ne permet de le confirmer directement. Mais disons que c’est probable, puisqu’au total, il y a moins de vaches en France que dans les années 1990, à cause de la forte diminution du cheptel des vaches laitières – une conséquence des quotas sur les ventes de lait imposés par l’Union européenne. Ces deux arguments sont impossibles à clairement valider ou infirmer. Ce ne sont pas les études qui manquent, ce sont les sources indépendantes. Recherche publique et intérêts privés sont étroitement enchevêtrés au sein des organismes chargés d’informer les consommateurs. Au CIV, sur 5 millions d’euros de budget annuel, 1 million provient d’aides de l’Etat. A l’Institut de l’élevage, scientifiques, professionnels de l’agroalimentaire et représentants du ministère de l’Agriculture travaillent main dans la main.
Le soutien de l’Etat au lobby de la viande répond-il à un souci de santé publique, ou bien au besoin de soutenir une activité qui fait vivre des centaines de milliers de familles ? « Eh bien, un peu des deux », bredouille notre source anonyme du ministère. Voire. Avec de l’argent en partie public, le CIV peut diffuser des plaquettes rutilantes chez tous les médecins généralistes de France afin d’expliquer les avantages nutritionnels des produits animaux. Les deux tiers des graisses saturées que mangent les Français viennent pourtant de la viande et des produits laitiers. Ces graisses sont l’un des premiers facteurs de maladies cardio-vasculaires. L’an dernier, le CIV a pu s’offrir une édition spéciale d’un journal pour adolescents (L’Actu), afin d’asséner, comme s’il s’agissait d’une vérité incontestable, que l’élevage est « un atout essentiel à nos équilibres environnementaux et alimentaires ». —
Photo : DR