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Nos bêtes sont nourries aux OGM
dimanche, 31 janvier 2010
/ Matthieu Auzanneau / Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde |
Vous souvenez-vous des farines animales ? Jugées responsables de la transmission de l’encéphalite spongiforme bovine, la maladie de la vache folle, elles sont interdites en Europe depuis 2000. Au fait, à quoi servaient-elles ? A fournir au bétail des apports en protéines animales que l’agriculture européenne ne produit pas en quantité suffisante sous forme végétale. Ce déficit de protéines oblige l’UE à importer chaque année des dizaines de millions de tonnes de soja – la plus riche des plantes en protéines – depuis les Etats-Unis, l’Argentine et le Brésil.
Premier problème : au Brésil, la culture du soja occupe un rôle-clé dans le déboisement de la savane et de la forêt amazonienne. En deux ans, de 2004 à 2005, 1,2 million d’hectares ont ainsi été « gagnés » sur la forêt tropicale. Ensuite, il se trouve que les grands exportateurs américains ne cultivent pratiquement que du soja génétiquement modifié. Paradoxe : alors que les Européens demeurent hostiles aux OGM, personne ne s’émeut de voir l’alimentation de leur bétail devenue à ce point dépendante de la filière transgénique. Si personne ne s’en émeut, c’est sans doute parce que cette information est très peu connue du public.
Première terre d’élevage en Europe, la France est logiquement la plus grosse consommatrice de soja du continent. Et elle occupe désormais un rôle actif dans l’importation de soja OGM. Le groupe Invivo, leader français de l’alimentation animale (1), s’est offert en 2008 la filiale brésilienne de Cargill Nutrition Animals, devenant du coup l’un des principaux opérateurs du soja transgénique du pays. Cela signifie-t-il l’abandon du soja OGM dans les années à venir ? « Impossible, répond Pierre Pinault, directeur de la com du groupe. Nous travaillons avec les matières premières qui sont à notre disposition. On ne peut aller contre la logique des agriculteurs brésiliens. De fait, le soja OGM est ce qu’il y a de plus rentable. » Cette rentabilité repose notamment sur le recours à des centaines de milliers d’ouvriers agricoles sous-payés. Depuis les années 1970, l’Union européenne a pourtant multiplié les « plans protéines » pour encourager nos agriculteurs à planter plus de végétaux protéagineux. Une énième mouture de ce plan est en cours. Mais voilà, aux termes des accords de Blair House négociés en 1992 avec les Etats-Unis, l’Europe n’a le droit de produire qu’un tonnage très faible de soja. Restent le pois, le lupin et la féverole, moins rentables. « Aujourd’hui, l’Europe n’a tout simplement pas les moyens de fournir suffisamment de protéines à son bétail », tranche Pierre Pinault. —
(1) 5,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier.
Photo : Pascal Aimar - Tendance floue