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La précarité énergétique : comment en sortir
dimanche, 31 janvier 2010 / Anne Dhoquois

Crise économique, baisse des revenus, hausse des prix du gaz et du pétrole : tels sont les ingrédients d’un mal nouveau auquel les pouvoirs publics commencent tout juste à s’attaquer.

« On a eu froid. » Valérie (1), 38 ans, se souvient non sans douleur des deux premiers hivers passés dans sa maison de l’Hérault. Elle a acquis cette dernière à l’été 2006 pour y vivre avec sa fille. A l’époque, tout juste séparée du père de son enfant, la jeune femme doit dénicher un logement de toute urgence. Elle tombe alors sur un ancien bureau de poste quasi insalubre qu’elle achète. Il n’y a ni chauffage ni électricité dans une partie de la maison. Le poêle au fuel est aussi dangereux que budgetivore, et le bâtiment est très mal isolé. Les travaux sont indispensables, mais Valérie, au chômage, n’en a pas les moyens.

La jeune femme fait part de sa situation aux assistantes sociales du Centre communal d’action sociale de sa ville qui alertent l’association Gefosat. Cette structure a participé, en 2002, à la création du Fonds d’aide aux travaux de maîtrise de l’énergie et de l’eau (FATMEE), une initiative départementale qui vise à maintenir les ménages dans leur logement dans des conditions de vie décentes et à un coût acceptable. « Nous intervenons auprès d’un public souvent exclu des actions de maîtrise de l’énergie », explique Sandrine Buresi, directrice de Gefosat. Dans cette structure originale, travailleurs sociaux et professionnels de l’énergie combinent leurs efforts pour dresser des diagnostics énergétiques de logements. Ils conseillent sur les travaux nécessaires et sur les aides financières disponibles. Chez Valérie, le diagnostic est sans appel : il faut changer des fenêtres, refaire un plafond, l’installation électrique et la plomberie, poser de la laine de verre dans les combles, installer un poêle à granulés de bois…

« Emmitouflée dans mes pulls »

Bilan de ce lifting : deux ans de travaux pour une facture de 16 000 euros. Valérie y a contribué à hauteur de 40 %, notamment via un micro-crédit obtenu avec le soutien de Gefosat. Les 60 % restants ont été pris en charge par l’Agence nationale de l’habitat, GDF-Suez, le conseil général, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et la Caisse d’allocations familiales. Aujourd’hui, la jeune femme revit. Elle a trouvé du travail et sa maison est enfin habitable. « J’étais très mal physiquement et moralement, confie-t-elle. Pour faire des économies, je ne chauffais pas dans la journée, quand ma fille était à l’école. Je restais chez moi emmitouflée dans mes pulls, avec gants et bonnet… J’ai fini par attraper une pneumonie et des otites. Aujourd’hui, ça va mieux. » Valérie a également vu son budget énergie fondre comme neige au soleil : il s’élevait à 20 euros par semaine quand elle chauffait au fuel, contre 118 euros aujourd’hui pour tout l’hiver grâce au poêle à granulés de bois. Aujourd’hui, elle ne vit plus dans la « précarité énergétique ».

La notion est récente et encore mal connue. Est considérée comme précaire sur le plan énergétique toute personne dépensant plus de 10 % de ses revenus pour chauffer son logement de façon correcte (la moyenne française est de 5,5 % des revenus). Cette définition qui vient du Royaume-Uni a été adoptée par plusieurs pays européens. En 2006, cinq pays – Belgique, France, Italie, Royaume-Uni et Espagne – se sont regroupés dans l’EPEE (European Fuel Poverty and Energy Efficiency) afin d’étudier les causes et les conséquences de la précarité énergétique. En ligne de mire : une mise en commun des bonnes pratiques et des actions de lutte contre cette nouvelle fracture sociale. Les individus les plus touchés sont les plus vulnérables et/ou à faible revenus : personnes âgées – en France, 55 % des précaires énergétiques ont plus de 60 ans –, des individus handicapés, des familles monoparentales… Dans l’Hexagone, la précarité énergétique toucherait 2 à 5 millions de personnes. En Europe, entre 50 et 125 millions. Leurs points communs : se trouver dans l’incapacité de payer leur facture d’énergie et/ou leurs dettes vis-à-vis du fournisseur d’énergie, subir des coupures d’énergie ou se les infliger, comme Valérie le racontait ci-dessus. En cause, le prix de l’électricité qui a grimpé en moyenne de 14 % entre 2005 et 2007 en Europe, des habitations construites avant l’introduction des réglementations thermiques de l’habitat – 60 % du parc européen – et une crise économique qui fragilise les sources de revenus.

Des propriétaires réticents

« La difficulté majeure est d’intervenir sur des bâtiments appartenant soit à des bailleurs privés, soit à des propriétaires à faibles ressources », décrit Didier Chérel, coordinateur national « Précarité énergétique » à l’Ademe. Pour la France, 87 % des personnes touchées vivent dans le parc privé et 62 % d’entre eux sont propriétaires. C’est donc une montagne d’acteurs qu’il faut sensibiliser et convaincre. L’Etat et les collectivités qui peuvent mettre en place un tarif social de l’énergie ou honorer les factures à la place des personnes concernées – 300 000 personnes ont bénéficié de cette aide publique en France en 2009 ; les fournisseurs d’énergie qui doivent respecter les certificats d’économie d’énergie (2) ; et l’Ademe et l’Anah (Agence nationale de l’habitat) qui peuvent subventionner des travaux de rénovation ou convaincre des propriétaires ou des bailleurs plutôt réticents à engager des frais. Pour François Chailloux, vice-président de la Fondation Abbé Pierre, la précarité énergétique constitue aujourd’hui « l’une des facettes du mal-logement ».

Deux pays ont aujourd’hui pris le taureau par les cornes en matière de chauffage : l’Allemagne et le Royaume-Uni. Le programme anglais « Warm Homes » consiste à approcher directement l’habitant, quartier par quartier, pour faire un point avec lui sur sa situation énergétique, définir si besoin les mesures d’économies d’énergie à adopter et lui proposer des aides en fonction de ses ressources. Le programme allemand « Stromspar-check » – en place dans 60 villes – a permis à 11 000 familles de recevoir gratuitement des ampoules basse consommation, des multiprises, mais surtout un diagnostic énergétique de leur logement (3). Cerise sociale sur le gâteau, ce dernier est effectué par la « Cariteam », organisation d’anciens chômeurs de longue durée ayant chacun reçu une formation de 80 heures. Outre-Rhin, près de 600 personnes se sont ainsi reconverties en traqueurs d’économies d’énergie. —

(1) Le prénom a été modifié. (2) Obligation de réalisation d’économies d’énergie imposée par les pouvoirs publics aux vendeurs d’énergie. (3) http://www.novethic.fr/novethic/pla...


LA FRANCE ENCORE TIEDE

Le sommet de Copenhague avait relégué cette question au second rang. Promis fin 2009, le rapport sur la précarité énergétique a finalement été rendu le 6 janvier à Valérie Létard, la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Ecologie. Il préconise plus de travail de prévention afin de réduire le nombre de situations d’impayés des factures d’énergie. Pour cela, un Observatoire de la précarité énergétique sera créé. Des visites au domicile des personnes en situation précaire seront mises en place, accompagnées d’un chèque énergie de 2 500 euros environ pour les aider à effectuer des travaux d’isolation et acheter des équipements électroménagers plus performants. Prévu sur dix ans (2010-2020), ce plan devrait coûter près de 4 milliards d’euros, dont 1,7 milliard à la charge de l’Etat, 353 millions à celle des collectivités locales et le reste à celle des fournisseurs d’énergie et des ménages. Si l’Etat donne d’un côté, il reprend de l’autre. Dans la loi de finance rectificative, un amendement adopté le 18 décembre 2009 par le Sénat diminue en effet le taux du crédit d’impôt pour les parois vitrées et les chaudières à condensation.

- Le Réseau des acteurs de la pauvreté et de la précarité énergétique
- Le programme allemand
- Le programme anglais
- Rapport belge sur la précarité énergétique
- Illustration : Olivier Marboeuf