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Taxe carbone : "on va vers quelque chose d’horriblement complexe"
mercredi, 6 janvier 2010 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Le rejet du dispositif de la taxe carbone par le Conseil constitutionnel force le gouvernement à revoir sa copie. Pour Jacques Le Cacheux, directeur du département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la deuxième version du texte risque d’être pire que la première.

Terra eco : quelle est votre réaction à la décision du Conseil constitutionnel ?

Jacques Le Cacheux : "L’idée de la taxe carbone était simple : certains secteurs sont déjà soumis au marché européen des quotas de CO2, ne détruisons pas ce qui existe et complétons pour ce que ce mécanisme ne couvre pas. Le Conseil constitutionnel a répondu que, juridiquement, on ne peut pas les exempter de taxe carbone. D’un point de vue économique, c’est très embêtant. Certes, tant que l’entreprise reste dans le quota, elle ne paye rien car les permis d’émission de CO2 sont pour l’instant distribués gratuitement. Mais l’incitation existe déjà : si les usines veulent émettre plus que le quota accordé, elles doivent payer et si ils réduisent leurs émissions, elles gagnent 16 euros par tonne. L’argument du Conseil constitutionnel, comme quoi la taxe carbone n’est pas efficace car elle ne prend pas en compte 93% des émissions d’origine industrielle, est donc erroné."

Que pensez-vous des aménagements qui se profilent ?

"Le gouvernement essaie de trouver la parade, mais si on ajoute la taxe carbone aux secteurs déjà soumis aux quotas, ceux-là vont devoir supporter la double peine. Même en appliquant une taxe réduite, pour ne pas les pénaliser financièrement, l’État va donc être obligé de les dédommager. J’ai bien peur qu’on aille vers quelque chose d’horriblement complexe. Comme les socialistes, qui sont à l’origine du recours, je regrette toutes les réductions accordées aux routiers, etc. Mais le remède va être pire que le mal. Si certains considèrent que la taxe carbone était un gruyère, on va bientôt n’avoir plus que les trous, car on va maintenir ces exceptions et en créer de nouvelles pour les industries soumises aux quotas de CO2."

Peut-on imaginer de distribuer à ces entreprises un chèque vert, comme cela est envisagé pour les particuliers ?

"On risque d’aller dans cette direction-là, même si je ne pense pas que ce soit légalement possible, à cause de la réglementation sur les aides publiques. Mais dans l’esprit, c’est ce qui a déjà été fait avec la suppression de la taxe professionnelle. Pour les entreprises soumises à quotas, on peut imaginer des crédits d’impôt pour réduire les émissions ou pour adopter des technologies moins polluantes. Tout cela va encore compliquer un dispositif dont la principale vertu n’était pas la simplicité et s’ajouter de toute manière au système des quotas de CO2."

Quelles seraient les alternatives selon vous ?

"Il vaudrait mieux, comme le proposent Christian Gollier et Jean Tirole [1] opter pour l’une de ces solutions : soit mettre aux enchères dès maintenant les permis d’émissions du marché européen du carbone qui sont aujourd’hui accordés gratuitement ; soit abandonner la taxe carbone et obliger les distributeurs d’énergie fossiles à acquérir des permis d’émissions, ce qui reviendrait à généraliser le marché des quotas de CO2. Mais c’est oublier que la France n’est pas seule en Europe. Pour moi, le meilleur scénario reste celui évoqué par Michel Rocard : la suppression du système de quotas et la création d’une taxe carbone européenne. Mais il faut pour cela l’accord de 27 pays. On sait très bien que ce n’est pas d’actualité..."

- l’éditorial de Christian Gollier et Jean Tirole