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2/2 : Relocaliser : pour la planète ? Pour l’humanité ? Pour tout ?
dimanche, 27 décembre 2009
/ Simon Barthélémy
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4/ Relocaliser pour nourrir – et sauver – la planète ?
Des émeutes de la faim vont se reproduire, peut-être dès cette année. Le mauvais présage est d’Olivier de Schutter, rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation (1). « On parle beaucoup de la petite agriculture familiale, mais on persiste dans des politiques d’encouragement des exportations. Le discours dominant est qu’il faut produire davantage, mais le vrai problème est qu’un milliard de personnes n’ont pas assez d’argent pour acheter la nourriture disponible. » 70 % des personnes affamées sont en effet des paysans, concurrencés par l’agriculture subventionnée des pays riches, et contraints à l’exode rural. « Il y a, environ, 200 fois plus de travwail dans un sac de riz produit en Casamance au Sénégal, que dans un sac produit aux États-Unis ou en Camargue. Ils sont pourtant au même prix sur un marché africain », rappelle, par exemple, l’agronome Marc Dufumier.
Si la Bolivie a inscrit la souveraineté alimentaire dans sa Constitution, de nombreux Etats préfèrent subventionner les cultures destinées au marché mondial. Appuyée par le Fond monétaire international et la Banque mondiale, l’Indonésie a ainsi consacré 20 millions d’hectares aux plantations d’agrocarburants, mais ne produit pas assez pour nourrir sa population. Or, ajoute Olivier de Schutter, ces monocultures appauvrissent les sols, provoquent l’érosion et requièrent beaucoup d’engrais et de pesticides. Selon le rapporteur de l’ONU, ces effets désastreux ne sont pas pris en compte par l’OMC qui défend une plus grande ouverture des marchés agricoles. Il faut au contraire, juge Olivier de Schutter, « privilégier les cultures vivrières pour répondre aux besoins locaux, et déconcentrer la production alimentaire afin qu’elle soit la plus proche possible des lieux où elle est consommée ».
En 2001, Denise et son mari Daniel créent la première Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) à Aubagne, sur un modèle existant au Japon ou aux Etats-Unis. Le principe est connu : un partenariat entre des consommateurs et un agriculteur, auquel ils achètent à l’avance tout ou partie de sa récolte. Neuf ans après, les Amap ont poussé comme du chiendent. On en dénombre près de 1 500 en France, qui alimentent 60 000 familles en fruits et légumes de saison, toujours, et bio, la plupart du temps. Beaucoup de « locavores » veulent mettre la main aux paniers, si bien qu’il manque 300 agriculteurs pour répondre à la demande, très forte dans les grandes villes. Mais l’installation des jeunes est compliquée par les prix élevés et la disparition des terres arables. Des associations, comme Terre de liens, tentent bien de lever des fonds pour les acheter. Et certaines collectivités – comme Rennes, Lyon – réunies dans le réseau « Terres en villes » veulent contenir l’étalement urbain en créant des ceintures vertes. « On a de bonnes pratiques, encore embryonnaires, mais pas de politique, estime Emmanuel Antoine, président de l’association Minga, qui participe à la campagne “Alimentons les régions”. Or, les faits sont têtus : 60 000 hectares de terres arables disparaissent chaque année à cause de l’étalement urbain et de la spéculation foncière. » Même les Olivades, l’exploitation de Denise et Daniel Vuillon, est menacée d’expropriation par un projet de « développement durable » de l’agglomération toulonnaise, en l’occurrence un tramway et une avenue reliant les terres à la mer… « La loi Grenelle 2 conseille de préserver des zones agricoles autour des villes, mais rien n’oblige les maires à le faire », déplore Denise.
Le béton est plus rentable au risque d’envoyer dans le mur tous les beaux projets de « circuits courts ». Le ministère de l’Agriculture veut en effet encourager le développement de la vente directe à la ferme, sur les marchés ou par livraison de paniers. Ce commerce sans intermédiaire occupe pour l’instant près de 17 % des exploitants. Le « plan Barnier » aimerait doper ce chiffre – et les revenus des agriculteurs –, en les aidant discrètement à contourner les Mammouths qui écrasent les prix. Les problèmes fonciers hypothèquent peut-être aussi le développement de l’agriculture biologique, dont le gouvernement souhaite tripler d’ici à 2012 la surface agricole (de 2 % à 6 %). Dommage : dans ce secteur qui occupe un peu moins de 100 000 personnes, le gisement d’emplois est considérable puisqu’il nécessite 30 % de main-d’œuvre de plus que l’agriculture intensive.
« Si l’on veut rendre effectif le droit des personnes âgées à vivre dans la dignité, reconnu par la loi dans d’autres pays, il faudra récupérer une partie des milliards dont l’Etat s’est volontairement privé en réductions d’impôts pour les plus riches et en niches fiscales », juge l’économiste Jean Gadrey. On peut toujours rêver. En attendant, certains inventent d’autres moyens d’échange. Le troc ressurgit sous forme de monnaies locales dans les SEL (Systèmes d’échanges locaux) ou dans les Transition Towns. Les universités de la métropole lilloise vont rémunérer les étudiants qui font du soutien scolaire bénévole avec une monnaie virtuelle : le Sol sera échangeable contre des paniers bio, des repas, une formation aux premiers secours… Au Brésil, 42 banques communautaires accordent des microcrédits sous forme de monnaies locales, qui financent le développement des commerces et des entreprises locales. Dans le Conjunto Palmeiras, une favela de 30 000 habitants à Fortaleza, 1 800 emplois ont ainsi été créés en dix ans.
Compétition interne
Et puis la mondialisation continue, comme le montre la détermination de l’OMC a poursuivre la libéralisation des échanges. « Pour éviter la désindustrialisation forcenée qui alimente le chômage et fait grimper l’extrême droite, il faudrait au contraire régionaliser les économies », suggère Hakim El Karoui (3). Ce banquier, ancien conseiller du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, est partisan d’un protectionnisme européen. « Ce serait possible grâce à des quotas et des législations internationales sociales et environnementales concertées. Or, ce qui caractérise l’Europe, c’est la compétition interne, car l’essentiel du commerce se fait entre les pays membres. L’Allemagne a, par exemple, gagné de la compétitivité sur le dos des Italiens ou des Français en baissant les salaires et en développant l’emploi précaire. » —
(1) Le Monde du 16 novembre 2009.
(2) La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses, Laurent Davezies, Seuil, collection La République des idées.
(3) L’Avenir d’une exception, Hakim El Karoui, Flammarion, 2006.
LE LOCAL MET LES PIEDS DANS LE PLAT
20% de menus bio dans les cantines, c’est bien. Des aliments locaux de qualité et de saison, c’est mieux. Dans la ligne du Grenelle de l’environnement, 36% des restaurants collectifs proposent de temps en temps des produits bio à leurs convives, voire des menus entiers. Mais avec seulement 2% des surfaces agricoles françaises en bio, beaucoup sont contraints de s’approvisionner sur le marché mondial... « Or le bio dans les cantines peut être un levier important de reconversion écologique des territoires », selon Didier Thevenet, de l’Association nationale de la restauration municipale : « Car les agriculteurs démarchent désormais les restaurants d’hopitaux, d’entreprises, etc. ». Problème : le code des marchés publics interdit la préférence locale. Pour contourner cet obstacle, les astuces fleurissent lors des appels d’offre. A Lons-le-Saunier (Jura), le restaurant municipal demande qu’on lui livre des animaux vivants, privilégiant ainsi les 40 éleveurs locaux de vache montbéliarde. Des restaurants demandent un délai de deux jours maxi entre la cueillette des légumes et leur livraison. Ce qui réduit la distance de la terre à l’assiette.
DES COOPERATIVES POUR SE SERRER LES COUDES
Contre les délocalisations, l’autogestion. Cette idée soixante-huitarde a été reprise Christian Estrosi, ministre UMP de l’Industrie, qui veut plus de PME en coopératives. Les Etats Généraux de l’Industrie feront donc des propositions pour encourager les salariés à reprendre leur boîte. En cas de départ à la retraite des patrons, alors que beaucoup vont passer la main. Mais aussi en cas de liquidation, comme celle d’Alusor, à Eckbolsheim (Bas-Rhin), le 24 décembre 2008. Avec leurs primes de licenciement, 11 de ses 24 salariés ont alors décidé de s’offrir la société (qui fait des systèmes électriques). « Comme on avait réussi à réunir toutes les compétences, on se disait que c’était économiquement jouable de la relancer. Elle vivotait depuis le départ à la retraite de son propriétaire », raconte François Blanck, co-gérant d’Alusor. Son passage en SCOP (société coopérative de production) le rend optimiste malgré la crise : « Les salariés se sentent dans le même bateau : ils sont actionnaires au prorata de leurs ressources, mais à égalité de voix. D’ailleurs 90% des Scop existent encore 5 ans après leur création, quand 40% des SA disparaissent au boût de 3 ans ». Les coopératives sont aussi un outil pour préserver l’environnement. Le nouveau Prix Nobel d’économie, Elinor Olstrom a prouvé que lorsque les hommes s’associent en égaux pour gérer des biens commun – eaux, forêts... -, ils le font mieux que l’administration ou une entreprise capitaliste privée.