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Un cinéaste "biodiversifié"
dimanche, 27 décembre 2009 / Arnaud Gonzague

Le réalisateur de « Microcosmos » et du « Peuple migrateur » vient de passer quatre ans avec un ciré sur le dos. Son nouveau documentaire « Océans » est un ballet aquatique à caractère écolo. Mais, chose rare ces derniers temps, il est plus voluptueux qu’alarmiste.

« Il n’y a pas de planète de rechange. » Cette phrase, on ne l’attendait plus. Elle surgit en voix off au bout d’une bonne heure de projection d’Océans. On est à la fois déçu et rassuré de l’entendre. Déçu, parce qu’évidemment, elle est l’inévitable conclusion du dernier documentaire de Jacques Perrin, un « opéra sauvage » sur la splendeur des fonds océaniques et de leur faune. Rassuré, parce qu’un long-métrage sur l’élément marin qui oublierait le saccage méthodique de la pêche industrielle et la pollution des hommes, est blâmable de non-assistance à planète en danger. Cette dernière demi-heure « engagée » d’un film, surtout marqué par sa recherche esthétique, est-elle le couplet écologiquement correct plaqué pour faire mode ? Ce serait mal connaître Jacques Perrin, un oiseau qui ne niche que là où il l’entend. Tiens, essayez donc de lui arracher une complainte sur notre Terre-qui-va-droit-dans-le-mur : « Cela me gêne toujours de tenir de beaux propos pour paraître généreux. Quand on me demande : “Qu’est-ce que vous avez à dire ?” Je réponds : “Rien, je n’ai qu’à montrer.” » Suées chez l’intervieweur. Il précise : « Mon engagement s’accompagne d’une arme redoutable : la caméra. Je m’adresse aux émotions, au cœur, pas à l’intellect. A la fin d’“Océans”, il faut que le spectateur ait peur de perdre cette beauté dont il a été submergé. »

L’océan, Jacques Perrin, né Simonet, n’est pas tombé dedans quand il était petit. Fils d’une comédienne et d’un souffleur de théâtre, ce parigot pur bitume n’a découvert les ressacs normands que vers 12 ou 13 ans. Et n’a pas tout de suite apprécié. Pire : alors que la gent des herbes (Microcosmos), des arbres (Le Peuple singe) et du ciel (Le Peuple migrateur) lui ont valu quelques belles réussites de producteur et/ou réalisateur, la mer, elle, lui a déjà fait boire la grosse tasse. En 1982, Les Quarantièmes Rugissants, film exorbitant sur la course d’un navigateur, fut en effet un bide mémorable. Mais l’océan, Perrin le connaît surtout pour avoir été l’un des derniers armateurs de chalutiers à Collioure (Pyrénées-Orientales) dans les années 1970. C’est d’ailleurs là qu’il a découvert, stupéfait, que la mer n’était pas un vivier inépuisable. « Des quotas ont été instaurés. Les pêcheurs ont dû abandonner leurs bateaux. Le poisson était soudain à protéger, c’était incroyable. »

Quinze plongeurs-réalisateurs

A cette époque, ce voyageur baroudeur découvre que la Terre est gangrénée un peu partout par l’activité humaine. « J’avais alors un projet de film sur la pollution, qui aurait dû être réalisé par Costa-Gavras. Sur un planisphère, on a placé des points rouges partout où les cas étaient préoccupants. On s’est vite rendus compte que la carte était envahie de rouge et qu’un seul film n’y suffirait pas ! » A-t-il été tenté de rejoindre un mouvement Vert qui voyait le jour ? Pas le genre de la maison. « Etre Vert signifiait n’appartenir qu’à une famille politique, qui n’est pas la mienne. Cela m’indisposait. » Aujourd’hui encore, il ne vote pas pour eux. « Jacques n’est pas un idéologue, mais un réalisateur explorateur, comme l’était Cousteau », décrit François Sarano, ancien membre de la Calypso – le bateau du commandant au bonnet rouge – et conseiller scientifique de Perrin sur Océans.

Il a notamment veillé à ce que le tournage titanesque du film n’endommage pas les fonds qu’il sublimait :quatre ans sur toutes les mers du globe, une quinzaine de plongeurs-réalisateurs et des caméras ultrasophistiquées trafiquées spécialement pour capter des mouvements et des couleurs uniques . « J’ai écrit moi-même la charte du plongeur responsable à laquelle toutes les équipes se sont soumises », explique François Sarano. Elle revient grosso modo à leur demander de laisser les lieux dans l’état où ils les ont trouvés – ce qui n’est apparemment pas une mince affaire. « Cela nous a permis d’obtenir des images qui seraient impossibles autrement, comme la scène où une maman morse câline un petit entre ses nageoires. »

Encore 10 % du film à financer

Autre souci éthique : que la – traumatisante – scène de massacre perpétrée par des pêcheurs soit 100 % reconstituée. Et que le requin aux ailerons amputés par les viandards soit un robot, pas un vrai. « On n’a pas le droit faire de belles images avec des massacres que nous dénonçons », tranche Jacques Perrin, plus connu pour préférer exploser son budget que rogner sur ses principes. Du reste, il s’est littéralement ruiné dans ce projet : « Je n’aime pas dire combien a coûté le film, mais il en reste encore 10 % à financer. » On saura toutefois que c’est plus de 50 millions d’euros – somme démente dans le cinéma français – et que le ministre Borloo l’entremet en ce moment avec quelques institutions fortunées (ONU, Unesco) pour les boucler.

Entre autres records, Océans explose d’ailleurs celui du nombre de partenaires mentionnés au générique : environ une trentaine ! Toutes les chaînes de télévision ou presque, deux régions, deux ministères, trois conseils généraux, la principauté de Monaco, ainsi qu’EDF, Veolia Environnement et la Fondation Total. Oui, oui, le Total impliqué dans la marée noire de l’Erika. Tentative de se repeindre couleur verdure ? Perrin balaie l’argument : « La Fondation existe depuis 1992 et a financé énormément de programmes pour la biodiversité marine, bien avant cette catastrophe. Le parc national de Port-Cros, c’est eux. Peut-être essaient-ils de donner une bonne image, et alors ? Soyons opportunistes ! » Discours partagé par Serge Orru, directeur général de WWF France, également partenaire du film : « Ce partenariat ne me regarde pas. Peut-être poussera-t-il Total à respecter davantage les mers ? » Ce serait beau comme Océans. —


JACQUES PERRIN EN DATES ET EN GESTES

1941 : Naissance à Paris

1968 : Produit « Z » de Costa-Gavras. Personne n’y croit. Il rafle deux Oscars

1982 : Joue dans « Les Quarantièmes Rugissants »

1996 : « Microcosmos »

1999 : « Himalaya, l’enfance d’un chef »

2001 : « Le Peuple migrateur »

Son geste vert : Il a banni tous les produits chimiques de son jardin.

Photo : Frédéric Stucin - M.Y.O.P / pour Terra eco