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Anders Rubin : « Repartir de zéro et parier sur l’éducation »
dimanche, 27 décembre 2009
/ Anne-Françoise Hivert
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SERIE : ILS IMAGINENT LA VILLE DE DEMAIN 1/4. Comment une ville de Suède brisée par la crise économique des années 1980-1990 est-elle devenue un modèle de ville durable pour le monde entier ? Réponse avec Anders Rubin, son grand manitou vert.
Anders Rubin en a vu de toutes les couleurs. Adjoint au maire de Malmö et membre du conseil municipal depuis vingt-cinq ans, il a vécu la descente aux enfers de cette ville suédoise dans les années 1980 : disparition de l’industrie textile, fermeture des chantiers navals, de l’usine automobile Saab et effondrement du secteur informatique. En 1995, l’équipe municipale, conduite par un architecte d’origine finlandaise, Ilmar Reepalu, inverse la spirale du déclin. A ses côtés, Anders Rubin, en charge de la planification urbaine, pilote une politique urbanistique audacieuse primée en septembre par les Nations unies. Désormais 3e ville de Suède (293 000 habitants) derrière Stockholm et Göteborg, et 5e de Scandinavie, Malmö voit défiler, chaque année, des dizaines de maires et responsables de collectivités du monde entier désireux de découvrir et de copier ce modèle de cité moderne et durable.
Malmö est une ville reconnue comme un modèle de ville durable en Europe. Quels sont, selon vous, les maîtres-mots de la ville de demain ?
Je dirais environnement et éducation. Beaucoup de villes considèrent leurs efforts dans le domaine du développement durable comme une contrainte. Pour nous, c’était une question vitale et relevait d’une stratégie globale. Tout le monde devait y travailler, pas seulement quelques personnes dans un bureau. Depuis 1974, la ville se vidait de ses habitants. Et elle s’était pris de plein fouet la crise économique du début des années 1990 : entre 1992 et 1994, elle a perdu un tiers de ses emplois. Mais j’ai l’habitude de dire que cette situation a été une énorme chance. Car il a fallu repartir de zéro. Nous avons d’abord parié sur l’éducation et la formation et réussi à convaincre l’Etat que, même si nous nous trouvions à une vingtaine de kilomètres de la grande ville universitaire de Lund, Malmö avait besoin d’une université. Celle-ci nous a aidés à attirer des jeunes. Les entreprises ont suivi. Et puis Malmö était perçue comme une ville triste et grise. Nous avons donc travaillé sur la pollution de l’air en centre-ville et converti tous les bus au gaz naturel. Ce fut un succès immédiat et sans doute aussi une prise de conscience pour beaucoup de personnes.
Comment conciliez-vous aujourd’hui la forte attractivité de votre ville et son développement durable ?
Bo01 a tellement attiré l’attention sur nous que certaines entreprises sont prêtes à aller très loin pour bénéficier des retombées de la renommée de Malmö. Le nouveau magasin Ikea, qui vient d’ouvrir à la sortie de la ville, a ainsi axé toute sa publicité sur le thème du développement durable. L’électricien allemand E.ON, qui a son siège social à Malmö, en a fait sa vitrine en Suède. Pour poursuivre notre stratégie, nous avons misé sur la planification urbaine. Choisir de construire l’université en centre-ville plutôt qu’en périphérie a été déterminant. La ville n’aurait jamais été riche en bars, boîtes de nuit, lieux de rencontres et d’échange, si cet établissement n’avait pas été situé dans le centre. L’autre objectif est de limiter l’expansion de la ville à l’intérieur de ses frontières actuelles. 85 % des foyers sont reliés au réseau de chauffage urbain. Or, ce système, idéal pour produire de la chaleur à partir de sources renouvelables, n’est pas tenable si la ville venait à trop s’étendre. Contrôler l’expansion de la ville est également nécessaire car, entre 40 % et 42 % des habitants vont travailler en vélo. Notre système de transports collectifs a, lui, presque atteint les limites de sa capacité.
Vous voulez réduire de 20 % la consommation d’énergie à Malmö d’ici à 2020 et assurer que toute celle consommée d’ici à 2050 sera durable. Comment allez-vous y parvenir ?
La seule façon d’agir consiste à collaborer avec les fournisseurs, les entreprises et les habitants. Il faut poser des conditions lors de la construction de nouveaux bâtiments. Quant aux énergies renouvelables, notre politique est volontariste : Malmö produit la moitié de l’énergie solaire de Suède. Nous possédons également le plus grand parc éolien offshore du pays. La société industrielle avait ses bâtiments, la société durable peut avoir ses icônes. Pourquoi pas des éoliennes urbaines et des panneaux solaires ? Si nous voulons moderniser la ville, il ne faut pas seulement jeter les rebuts de la société industrielle, il faut aussi intégrer de nouveaux « meubles ».
Le concept de ville durable n’est-il pas synonyme de ville pour riches ?
Il n’est pas facile d’intégrer toutes les classes sociales dans un tel projet. Malmö est à l’origine une ville ouvrière. Beaucoup ont considéré Bo01 comme un projet luxueux. Les classes ouvrières se sont senties abandonnées. D’autant plus qu’à cette période on ne construisait rien d’autre. Les jeunes débarquaient dans le centre-ville. Et avec eux, les start-up et leurs millionnaires. Notre travail a donc été de lutter contre la « ségrégation involontaire » : les gens ne doivent pas être forcés de rester dans un quartier contre leur volonté mais avoir la possibilité d’y rester s’ils le souhaitent. Il faut également éviter la construction de quartiers uniformes avec des habitations identiques ayant toutes la même taille.
1980 : entre au Parti social-démocrate à 17 ans
1984 : décroche son diplôme d’économie
1985 : élu au conseil municipal de Malmö
2002 : devient l’adjoint au maire, en charge de la planification urbaine
Illustration : Morgane Le Gall