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L’objet du mois : la patinoire
dimanche, 27 décembre 2009 / Louise Allavoine

Sa glace, sa glisse, ses gadins. Lieu d’exploits sportifs et de chutes mémorables, la patinoire est un gouffre énergétique et une bombe à gaz à effet de serre. Alors pour patiner vert, faut-il foncer sur la piste synthétique ?

Une patinoire est un frigo, puissance 10. Elle a donc les mêmes défauts puissance 10. Comme un réfrigérateur, elle utilise des fluides frigorigènes, généralement des hydrocarbures fluochlorés, qui fuitent. Or, derrière ce nom barbare se cachent de puissants gaz à effet de serre qui, de surcroît, détruisent la couche d’ozone (lire ci-contre). Comme un frigo, une patinoire consomme de l’énergie. Et sous nos latitudes, où les pistes à gadins ne se forment pas naturellement, leur groupe réfrigérant fonctionne à plein tubes, plus encore lorsque Evelyne Dhéliat nous annonce un hiver clément. Gare à la facture EDF en période de pointe tarifaire.

Patinoire en plastique

Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), la consommation électrique d’une patinoire varie entre 35 et 65 euros par m2 de glace et par an : elle représente « 20 % à 25 % de son coût global de fonctionnement ». Rapportée aux 1 800 m2 d’une patinoire olympique, l’addition se monte au minimum à 63 000 euros. « Les patinoires classiques sont un gouffre financier », pointe Christine Casanova de CDLD. Sa société distribue en France Ecogliss, « la patinoire qui ne laisse pas de glace ». Finies les consommations électriques et les fuites de fluides frigorigènes polluants avec cette piste en polyéthylène haute densité (PEHD). Le synthétique pourrait bien être la solution écolo à la glisse parce qu’en plus, « ce matériau est 100 % recyclable ». L’exploitation de ces pistes synthétiques dure au minimum une vingtaine d’années. Ensuite, les dalles sont promises au broyage et à une deuxième vie sous la forme de bacs à ordures par exemple. « Les filières sont en place. Nous avons passé des accords avec les fabricants qui nous rachèteront les dalles en fin de vie. Mais l’exploitation de ce type de pistes n’étant pas très ancienne, il n’y a pas encore de matière à recycler. »

Les pistes synthétiques sont apparues au début des années 2000. Depuis l’an passé, elles connaissent un franc succès, notamment sur le marché des patinoires éphémères de centre- ville. En 2008, le Syndicat national des patinoires (SNP) en dénombrait 37 contre 186 patinoires classiques. Face à cette nouvelle concurrence, les pistes de glace vont-elles fondre comme Groenland au soleil ? Pas si sûr. Car il manque à la patinoire synthétique un élément essentiel : le froid. Or, « la magie des fêtes de fin d’année passe par la glace », assure Christian Ochem, le président du SNP. De plus, on ne patine pas sur du plastique comme sur de la glace. Confrontés à ce défaut de taille, les concepteurs d’Ecogliss ont imaginé des patins spéciaux : les 3S. Ces rollers à lame offrent une qualité de glisse optimale, sans lubrifiant sur la piste. Ce qui évite d’être huilé à chaque chute. Et aux critiques avançant qu’il ne s’agit plus de patinage, Christine Casanova répond : « Il faut savoir ce que l’on veut : de vrais patins ou de vraies sensations ? » En tout cas, vous n’y jouerez pas les Candeloro. Les triples axels y sont impossibles. Et sans pointés, pas de compétition. Conclusion : les pistes synthétiques ne remplaceront jamais les patinoires de glace. De toute façon, ce n’était pas leur ambition. « Les deux produits sont complémentaires, explique Christine Casanova, parce que le synthétique est ludique et récréatif, il peut amener les enfants à la glisse. » Ce n’est pas Christian Ochem qui dira le contraire. Son syndicat, sceptique, a même osé le slogan : « Essayez la glisse mais préférez la glace. »

Dans la foulée des JO de 1968

Puisque les patinoires classiques ne sont pas une espèce en voie d’extinction, il va falloir faire des progrès sur le terrain environnemental. La centaine d’installations fixes existant en France constitue une « vraie passoire », selon l’expression même d’un consultant en aménagement et développement urbain. L’essentiel du parc a en effet été construit dans la foulée des jeux Olympiques de Grenoble en 1968, soit avant le choc pétrolier et l’arrivée de réglementations strictes. Thomas Marchetto, programmiste en architecture, suggère quelques pistes d’évolution : « D’abord, construire des bâtiments exploitant au mieux les ressources de leur environnement. Par exemple, en jouant sur l’orientation et l’implantation des patinoires dans des sites où la topographie pourrait servir à l’inertie de l’enveloppe. » En clair, construire des bâtiments orientés vers le nord et plus encaissés dans le relief afin de mieux conserver le froid. Selon l’expert, il faut aussi largement repenser la localisation des sites. Car l’impact le plus important d’une patinoire est lié au transport des patineurs. Selon les chiffres du SNP, on peut estimer qu’un million de personnes fréquentent les pistes de glace chaque année.

Roller et skate

Meilleure orientation du bâtiment, encaissement dans le relief et localisation optimale, ces idées valent pour des équipements neufs. Seulement, comme pour le logement, c’est l’existant qui concentre le plus grand potentiel de diminution d’émissions. Et sur ces patinoires, la solution la plus efficace consiste à diminuer leur exploitation. « Réduire les temps de fréquentation de deux à trois mois par an permettrait d’en diminuer la consommation énergétique », justifie Thomas Marchetto. Les exploitants risquent de faire la grimace. Pour compenser le manque à gagner, le programmiste propose de transformer les patinoires en palais de la glisse durant l’été. Sous les pavés de glace, le béton. « Le roller et le skate sont des activités très populaires et en fort développement. Diversifier l’accès des patinoires à ces activités et, éventuellement, à d’autres permettrait aux exploitants d’avoir encore plus d’attractivité. » Mais le monde de la patinoire reste réticent à bouger. Pour créer l’émulation, Thomas Marchetto a imaginé des trophées : les « Patins d’argent », calqués sur l’Equerre d’argent des architectes. Ils récompenseraient la patinoire la plus durable. A quand la première édition ? —

DES FLUIDES QUI FONT FROID DANS LE DOS

Chlorofluorocarbures (CFC), hydrochlorofluorocarbures (HCFC), hydrofluorocarbures (HFC), ces fluides frigorigènes font palpiter l’effet de serre. Exemple avec le R-507A, très utilisé dans le secteur des patinoires. Il possède un potentiel de réchauffement global 3 300 fois plus important que le CO2. Alors, les fuites ou les évaporations qui peuvent intervenir sur les installations, « même minimes, peuvent représenter une fraction significative du total des émissions de gaz à effet de serre pour un site donné », indique l’Ademe, dans son guide des facteurs d’émissions. « Les fuites peuvent encore se produire, mais elles deviennent rares, défend Christian Ochem, du Syndicat national des patinoires. De plus, nous avons pour objectif de ne plus avoir de patinoires qui fonctionnent avec ces fluides chlorés. » Une belle intention qui devient, de toute façon, obligatoire cette année. L’Europe a en effet décidé d’interdire l’utilisation des hydrofluorocarbures neufs à partir du 1er janvier 2010. Ils seront tous bannis à compter de 2015. Mais alors, par quoi les remplacera-t-on dans les tuyaux de nos patinoires ? « Il y a un retour significatif à l’ammoniac », indique Christian Ochem. Ce fluide fait l’objet d’une réglementation draconienne. Il est interdit d’en utiliser plus de 150 kg par patinoire. Et heureusement. Car si l’ammoniac est beaucoup moins dangereux pour le climat, il le reste pour l’homme et l’environnement.

- Le Syndicat national des patinoires
- Le site d’Ecogliss 

- Illustration : Simon Astié