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Copenhague : l’échec, l’espoir et l’urgence
lundi, 21 décembre 2009 / Walter Bouvais /

Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net

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A Copenhague, nous avions rendez-vous avec l’Histoire. L’estrade dressée pour ce qui devait être une photo de famille est restée déserte. Faute de décision à la hauteur des enjeux, le sommet sur le climat a échoué.

La feuille de route fixée aux Etats était pourtant claire. Il s’agissait de lancer la bataille contre le changement climatique grâce a un accord ambitieux, juste et légalement contraignant. Les scientifiques nous disent que le réchauffement de la planète ne doit pas dépasser le niveau des 2 degrés par rapport à l’ère pré-industrielle. Et que pour ce faire, les émissions de gaz à effet de serre de l’humanité doivent atteindre un plafond dans les dix ans qui viennent, puis décroître vigoureusement jusqu’à un niveau au moins deux fois moins élevé en 2050 qu’en 1990.

Compte tenu de l’inertie des décisions politiques, Copenhague était peut-être l’une des dernières occasions de relever le « plus grand défi de notre ère », selon les tout premiers mots de « l’accord de Copenhague ».

La peur de s’engager

Dans ce texte, les chefs d’Etat rassemblés à Copenhague ne se sont finalement accordés que sur l’urgence. Pour le reste, l’accord final brille par ses lacunes et par son caractère non contraignant. Les optimistes béats y verront un engagement moral inédit, endossé par les Etats les plus puissants de la planète : Etats-Unis, Chine, Inde, Etats de l’Union européenne.

Mais dans un monde où la mémoire des médias et des opinions se raccourcit, on ne sait que trop la valeur de tels effets d’annonce. Combien de réunions de chefs d’Etat ont-elles accouché de déclarations d’intention jamais suivies d’effets ? Comment ‘croire’ en « l’accord de Copenhague » quand d’autres engagements de longue date – objectifs du Millénaire pour réduire la pauvreté, financement de l’Aide publique au développement – n’ont jamais été tenus ? Copenhague aurait dû être le sommet de la preuve. Malgré la ténacité de certains pays – comme la France ou la Grande-Bretagne – les « grands » de ce monde en ont fait celui de la peur de s’engager dans une nouvelle voie.

Une offense aux délégations, aux ONG, aux pays du Sud

A cet échec sur le fond, s’ajoute un fiasco sur la forme, symbolisé par la fuite des chefs d’Etat dans la nuit de vendredi à samedi. Barack Obama, Gordon Brown et Nicolas Sarkozy ont préféré organiser leurs points presse chacun de leur côté, pour ne pas dire en catimini, avant de regagner leurs pénates en toute hâte. Seule l’Union européenne, par la voix de José Manuel Barroso, est venue assumer publiquement l’échec devant les journalistes et les délégations présentes au Bella Center de Copenhague.

Cette conclusion pathétique est une offense aux équipes de négociateurs qui, après avoir cravaché pendant deux ans depuis le sommet de Bali, ont ainsi vu le fruit de leur travail piétiné. Cette conclusion est une offense à la mobilisation de la société civile, des autorités locales et des ONG, dont on croisait les responsables au bord des larmes, de rage et de désespoir, dans les allées du Bella Center, vendredi soir. Cette conclusion est une offense, enfin et surtout, aux « Etats du Sud », dont les représentants sont venus témoigner : le changement climatique sème déjà la mort et la désolation chez eux.

Remobiliser de toute urgence

Pour autant, on ne peut laisser dire que Copenhague n’a servi à rien. Même si « l’accord » brille par son manque d’ambition, il pose quelques principes utiles pour poursuivre les négociations, comme l’importance de la forêt ou la nécessité de la transparence dans la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre.

Même si « l’accord » ne fait pas référence aux travaux de la Convention, les discussions qui ont eu lieu dans les groupes de travail depuis le sommet de Bali ne peuvent sombrer dans l’oubli. Ces discussions de fond doivent reprendre dès janvier 2010, en vue des prochains rendez-vous de Bonn et de Mexico.

Même si elles ont été sorties manu militari du Bella Center, les ONG ont su s’imposer comme un interlocuteur de grande qualité et exercer un lobbying précieux auprès des équipes des chefs d’Etat. Leur mobilisation doit se poursuivre, parce qu’elles portent les espoirs d’une société civile désormais sensibilisée. L’échec de Copenhague ne changera rien à cela. Et rien ne serait pire qu’une démobilisation, puisque l’urgence qui prévalait avant Copenhague devient une urgence absolue.

Le poids des Etats-Unis

La communauté internationale doit désormais tout faire pour décrocher un accord en 2010. Pour maximiser les chances de réussite, sans doute faudra-t-il tenir compte du calendrier politique américain. Avec quelques heures de recul, il semble en effet que celui-ci fournisse une des explications de l’échec de Copenhague. Barack Obama n’est pas reparti de Copenhague avec un accord international sur le climat, mais avec une décision sur-mesure à l’attention de son opinion publique. Pas d’engagement – puisqu’il n’a pas signé de sa main – pas de contrainte, pas d’argent ou si peu (3,6 milliards de dollars dans les trois ans, contre 10,6 pour l’Union européenne). Les Etats-Unis ont préservé l’essentiel. Et Barack Obama ne disposera d’aucune marge de manœuvre tant que le Congrès ne lui aura pas donné un mandat clair de négociation. Souvenons-nous du protocole de Kyoto : Al Gore avait signé en personne le texte de l’accord en 1997, avec l’espoir de l’imposer de retour au pays. Or celui-ci n’a jamais été ratifié, ni du temps de Bill Clinton, ni de celui de George Bush.

A ce stade, ne doutons pas (encore) des bonnes intentions d’Obama. Ses discours sur le climat attestent d’une attitude progressiste. Mais il a besoin du sénat, dont il n’obtiendrait le mandat qu’avec le vote de la loi Waxman-Markey [1], prévu pour la mi-2010 au plus tôt.

L’enjeu de Copenhague consistait à embarquer les Américains dans la lutte contre le changement climatique. L’erreur de Copenhague est d’avoir sous-estimé combien Barack Obama, mais aussi ses homologues chinois et indiens sont tenus par leurs affaires intérieures.