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Un logiciel pour refroidir le Web
vendredi, 11 décembre 2009 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

A chaque clic sur le Web, nous faisons tourner un serveur quelque part dans le monde. Pas très sympa pour le climat... Surtout que pour pouvoir répondre à toutes nos demandes, ils restent souvent allumés pour rien. L’équipe de Jean-Marc Menaud, enseignant-chercheur à l’Ecole des mines de Nantes, a trouvé la solution, récompensée la semaine dernière par le prix de la croissance verte numérique.

Quel est le principe de votre logiciel Entropy ?

Nous sommes partis en 2006 d’un constat flagrant : les centres de données ne sont utilisés qu’à entre 20 et 50% de leur capacité. Ce qui veut dire que jusqu’à 80% de l’électricité consommée par les serveurs est gaspillée. Ces centres, qui sont parfois composés de milliers de machines, servent par exemple à répondre à vos recherches sur Google ou à n’importe quel autre service en ligne comme la télédéclaration des revenus. Ces services ne sont pas accédé de manière régulière et continue, mais doivent faire face à des pics de charge. Typiquement le service de télédéclaration est plus utilisé vers midi que la nuit, et un gros pic apparaît 24 heures avant la date limite. L’idée du logiciel Entropy est de proposer de la puissance à la demande : pour exemple, au lieu d’avoir 10 serveurs sur 10 machines, on les regroupe sur 3 machines et on éteint les autres, tout en adaptant de manière dynamique en fonction de la charge. On arrive ainsi en moyenne a une économie de 40 à 60%.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Fabien Hermenier [1] a fini sa thèse le 26 novembre dernier et le logiciel est disponible sous licence libre depuis environ un an. Je pense que ce prix récompense ces travaux mais est aussi un encouragement pour le futur. Il faut savoir que seulement 50% de l’électricité consommée sert à alimenter les serveurs, le reste est utilisé pour la climatisation, qui est elle aussi surdimensionnée. C’est ce second volet que nous venons d’attaquer, en commençant par déplacer physiquement les machines qui chauffent le plus dans des endroits où la climatisation est plus froide. Rien que de dispositif permettrait de gagner jusqu’à 15%. Nous sommes maintenant en train d’étudier comment mieux placer les serveurs, cette fois au niveau logiciel, pour éteindre les machines qui chauffent le plus au lieu de le faire actuellement un peu au hasard. On espère une économie de 30 à 40%, mais tout reste à faire.

Pourquoi ce surdimensionnement ?

Quand l’hébergeur signe un contrat avec une société, il doit lui garantir que son site pourra accueillir un certain nombre de personnes en permanence. Il dimensionne donc en fonction de cela pour lui permettre de supporter les pics de charge. Pour la climatisation, comme le constructeur exige une température de fonctionnement, l’hébergeur surclimatise pour s’assurer de rester dans le cadre de la garantie. Des solutions commencent à apparaître pour mutualiser les machines. Amazon a acheté énormément de serveurs pour avaler le pic de charge de Noël. Mais le reste du temps ils n’en font rien et sont éteints. Autant les rentabiliser en les proposant à la location. L’aspect déchets est important car les machines ont une durée de vie de 3 à 5 ans maximum.

Quel est l’enjeu côté consommation ?

Du côté des hébergeurs, jusqu’à présent, l’électricité n’était pas encore vrai problème et on se contentait de payer les factures. Ce n’est plus le cas, pour des raisons de crise, de concurrence, mais aussi parce que la consommation représente désormais plus que le coût d’achat des machines. En 2008, les centres de données ont absorbé 1 à 2% de la consommation électrique mondiale. Et on est dans une phase de croissance exponentielle, notamment avec le développement des services en ligne. En plus des usages actuels, on va avoir de nouveaux usages, à l’image du cloud computing [2], qui est considéré comme un des principaux vecteur de croissance futur de l’informatique. Je pense que tous les acteurs, de la puce au logiciel, ont vraiment conscience de ce problème, pas forcément pour des raisons environnementales mais tout simplement parce qu’on sait que l’énergie va coûter de plus en plus cher. Si l’on ne fait rien, dans 25 ans l’Internet dans son ensemble - c’est à dire les ordinateurs, le réseau et les centres de données - consommera autant que la production électrique mondiale de 2008. Ce serait catastrophique.

- Photo : Neospire
- Le prix de la croissance verte numérique
- Le site d’Entropy