https://www.terraeco.net/spip.php?article7630
|
Adaptation : vivre à New York en 2050
dimanche, 29 novembre 2009
/ Anne Sengès / Correspondante de « Terra eco » en Californie, Anne Sengès est l’auteur de « Eco-Tech : moteurs de la croissance verte en Californie et en France », paru en novembre 2009 aux éditions Autrement. |
« Adaptation » : ce mot va rythmer les prochaines décennies. Entre fermes verticales, éoliennes rabattables, tramway et bunkers climatiques, voici ce que prépare New York. Ce scénario-fiction est tiré des meilleures projections d’experts.
Manhattan, le 4 octobre 2050. Karen, un ouragan de catégorie 3, a frappé cette nuit la côte atlantique. Des pluies diluviennes se sont abattues sur New York. La statue de la Liberté a les pieds mouillés et des vagues géantes arrosent son socle. Au petit matin, sa torche, alimentée par les turbines de la Ferme de la liberté, parc éolien offshore dont les éoliennes résistent à des vents de 250 km/h, brille vaillamment. Les berges de la pointe sud de Manhattan sont inondées. La station de métro South Ferry, qui dépose habituellement les voyageurs au pied du ferry de Staten Island, est sous les eaux. Les stations de pompage de la ville n’ont pu aspirer assez vite les trombes d’eau qui se sont englouties en l’espace de deux heures dans ses entrailles. Une odeur pestilentielle se dégage vers le quartier financier de Wall Street. Le réseau d’égouts déborde. La Bourse n’ouvrira pas aujourd’hui. L’état d’urgence a été déclaré. Les pistes d’atterrissage de JFK, La Guardia et Newark, les trois aéroports, sont inondées. New York éponge ses dettes. L’impact économique de la tornade est évalué à 100 milliards de dollars. « Nous sommes devenus les nouveaux réfugiés climatiques », piaille une présentatrice de la GWC, la Global Warming Channel, la chaîne de télévision dédiée au changement climatique. Chaussée de cuissardes en caoutchouc recyclé, elle patauge dans les eaux de Battery Park, la pointe sud de Manhattan, tout en se demandant si la robe verte de la statue finira ensevelie sous les eaux d’ici à 2100.
Ces centres carburent à l’air conditionné l’été et servent d’abris aux populations les plus vulnérables pendant les jours de canicule. Car l’été est de plus en plus meurtrier. Désormais surnommée « Baked Apple » (la pomme cuite), New York a enregistré en 2049 des températures supérieures à 35 °C pendant quarante-cinq jours d’affilée. Depuis le début du siècle, les températures ont augmenté de 3 °C et les canicules sont plus fréquentes et plus intenses. Les économies d’électricité réalisées lors des hivers plus doux sont englouties l’été par les dépenses excessives en air conditionné. Pourtant, le plan d’adaptation au réchauffement climatique adopté par la ville au début du siècle semble porter ses fruits. Les panneaux solaires intégrés aux gratte-ciel construits au cours des trente dernières années résistent aux vents violents qui s’engouffrent dans les artères de Manhattan. L’entreprise française Vergnet, dont les éoliennes cycloniques rabattables étaient autrefois réservées aux climats extrêmes, a conquis le marché new-yorkais. Les vitriers aussi. Les fenêtres des gratte-ciel plus que centenaires ne résistent pas aux vents de plus de 180 km/h.
Au lendemain de Katrina, ouragan de catégorie 5 qui, en 2005, avait englouti une partie de la Nouvelle-Orléans et fait 1836 morts, New York avait fait le pari risqué d’ignorer les conseils d’experts qui lui recommandaient de se protéger avec des barrages anti-tempêtes. A près de 7 milliards de dollars la barrière, le coût avait été jugé faramineux à l’époque étant donné l’incertitude des hypothèses climatiques (lire ci-contre). A la place, les New-Yorkais se sont lancés dans une grande politique volontariste de réduction des émissions de C02. Seuls 3 % des habitants de Manhattan possèdent désormais une automobile, pour l’essentiel des collectionneurs nostalgiques de voitures à moteurs thermiques – contre 23 % en 2009 – et 99 % d’entre eux se rendent à leur travail en transport public, en vélo ou à pied – ils étaient déjà 82 % au début du siècle. Le tramway est devenu un transport de choix depuis le succès de la ligne 42 inaugurée en 2019. Celle-ci dessert Manhattan le long de la 42e rue transformée en artère piétonne, Times Square compris.
Ce concept révolutionnaire a été imaginé en 2001 par Dickson Despommier, chercheur au département des Sciences de santé environnementale de l’université de Columbia. Il avait fait le pari fou qu’on pouvait cultiver tous les aliments possibles et imaginables dans des gratte-ciel. Et même y élever poules, canards et cochons. Les débuts furent laborieux. Il a fallu dénicher plusieurs centaines de millions de dollars – financés par les autorités publiques et par le gouvernement fédéral qui a jugé le projet d’intérêt public – pour ériger la première ferme. Et affiner les connaissances des fermiers urbains en hydrobiologie et en ingénierie structurelle. La municipalité a inscrit dans son plan d’adaptation au changement climatique l’objectif d’une ferme par quartier d’ici à l’année 2080. Les New-Yorkais visent même l’autosuffisance alimentaire d’ici au siècle prochain. A condition que la ferme du futur prouve qu’elle peut résister à la puissance des éléments. Car en cette matinée du 4 octobre 2050, la base Floyd Bennet Field, posée en bordure de l’eau, a elle aussi les pieds mouillés. —
Illustration : Yannick Monget / Terres d’avenir (Editions La Martinière)
JPEG - 199.7 ko 450 x 300 pixels |