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CO2 : le Nord criblé de dettes
lundi, 11 janvier 2010 / Matthieu Auzanneau /

Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde

La Chine est devenue le premier émetteur mondial de CO2. Certes, mais c’est en partie « grâce » à tous les produits fabriqués là-bas et consommés chez nous. Deux exemples, le jean et l’iPhone, pour comprendre ce qu’est notre « dette carbone ».

Le nec plus ultra du cadeau de Noël ? C’est l’iPhone de Apple, pardi. Vous pensiez vous le faire offrir ? Pensez-y à deux fois. D’abord, en raison de ses émissions de gaz à effet de serre. Apple avance le chiffre de 55 kg d’équivalent CO2 émis tout au long de la vie d’un appareil. Avec 20,8 millions d’iPhone vendus au cours des douze derniers mois, les émissions générées représentent 1,2 million de tonnes de CO2, c’est autant que les émissions annuelles de 110 000 Français ou encore de 200 000 voitures parcourant une distance égale à un tour de la Terre.

On peut juger que c’est peu. A ceci près que les chiffres fournis par Apple sont impossibles à vérifier. La firme de Steve Jobs indique seulement que l’utilisation du téléphone (sa recharge) compte pour 49 % des émissions générées, sa fabrication 45 % et son transport jusqu’aux magasins 5 %. Ces mesures englobent-elles toute la chaîne de fabrication ? Tiennent-elles compte de l’extraction des matières premières et du transport entre tous les sous-traitants ? Pour toute demande de précision, la réponse est « no comment ». On peut simplement noter que, d’après les chiffres d’Apple, les émissions engendrées par la version 3G de l’iPhone sont rigoureusement identiques à celles de la version 3Gs, alors que cette dernière contient une batterie plus puissante. Après s’être fait taper sur les doigts par Greenpeace, Apple a retiré de l’iPhone des composants nocifs pour la santé dont l’arsenic, le PVC ou les retardateurs de flammes. Mais quand on demande si l’appareil contient du minerai de coltan venu des mines du Congo, dont le commerce profite aux groupes armés, la réponse fuse, invariable : « No comment. »

A Shenzen, près de Hong Kong, dans l’usine du géant taïwanais Foxconn d’où sortent les iPhone, les ouvriers travaillent en général plus de 10 heures par jour, 6 jours par semaine, pour un salaire mensuel d’environ 100 euros, d’après China Labor Watch. Cette ONG basée à New York dénonce le traitement « militaire et inhumain » qu’inflige à ses employés le principal sous-traitant d’Apple. Rien que de très banal en Chine, le pays du capitalisme communiste – à moins que ce ne soit l’inverse – où la main-d’œuvre est moins chère. Contrairement aux ouvriers américains qui fabriquaient la Ford T au début du siècle dernier, les ouvriers chinois qui assemblent l’iPhone ne peuvent pas se l’offrir. Pour l’instant, l’iPhone n’est même pas commercialisé en Chine.

Pomme de discorde

Cet appareil n’est qu’un produit parmi des centaines de milliers d’autres fabriqués dans les pays en développement, qui franchissent des milliers de kilomètres avant d’être achetés. Les composants d’un simple jean (toile de coton, teinture, rivets, fermeture Eclair) parcourent quelque 65 000 km de l’extraction des matières premières jusqu’aux magasins européens, selon une enquête très fouillée du quotidien anglais The Guardian. Le coton pousse au Bénin ou au Pakistan, le cuivre est extrait en Namibie, la pierre ponce utilisée pour le délavage vient de Turquie, la confection a lieu en Tunisie. Impact sur le climat ? Une étude commandée par l’Agence du développement et la maîtrise de l’énergie avance le chiffre de 9,2 kg équivalent CO2 pour un modèle de jean standard.

L’évaluation des conséquences pour le climat des délocalisations de l’industrie vers les pays pauvres promet d’être la pomme de discorde principale entre le Nord et le Sud lors de la conférence de Copenhague. Qui doit payer ? D’après les Nations unies, les 20 % des habitants les plus riches de la planète consomment 80 % des ressources mondiales. La Chine, devenue première source mondiale de gaz à effet de serre, estime que 15 % à 25 % de ses émissions sont générées par des produits destinés à l’exportation. Le négociateur de Pékin sur le climat, Li Gao, martèle : « Ces produits sont consommés dans d’autres pays. Cette part des émissions devrait donc être assumée par les consommateurs, et non par les producteurs. » Pour le ministre indien des Affaires étrangères, S.M. Krishna, « l’Inde n’a en aucune manière créé le problème du réchauffement » : ce sont « les modes de vie, de consommation et de production insoutenables des pays développés » qui en sont responsables.

Le professeur David MacKay, nouveau conseiller climatique du Royaume-Uni, soutient que les émissions des Britanniques sont probablement deux fois supérieures aux chiffres officiels. Il justifie : « Si notre empreinte énergétique a diminué au cours des dernières décennies, c’est avant tout parce que nous avons délocalisé notre industrie (...) La méchante Chine et la méchante Inde font exploser leurs émissions, mais c’est parce qu’elles fabriquent nos trucs ! »

A combien s’élève ce que l’on appelle désormais la « dette carbone », que le Nord a contractée auprès du Sud ? Au nom du G77, qui regroupe l’ensemble des pays en développement, la Chine demande aux pays riches une aide équivalant à 1 % du PIB mondial, ce qui représente aujourd’hui plus de 400 milliards d’euros par an. La Commission européenne évalue, pour sa part, la facture à 100 milliards d’euros par an, et propose que l’Union européenne en paye 15 milliards. Mais les 27 chefs d’Etat de l’Union refusent à s’avancer sur le montant de leur contribution avant l’issue de la conférence de Copenhague. Qui financerait les 85 milliards annuels restants ? Pour l’heure, c’est le silence radio à Washington ou à Tokyo.

Avec la crise financière, la dette budgétaire des pays riches s’est creusée de façon vertigineuse. ça n’aide pas. D’autant que les Etats du Nord rechignent à tenir les promesses faites par le passé. D’après les « Objectifs du millénaire », adoptés par les Nations unies en l’an 2000, l’aide au développement devrait doubler avant 2015, pour atteindre 0,7 % du revenu national brut des économies développées. Pour l’heure, seuls le Danemark, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède respectent cette recommandation.

« Tribunal de la justice climatique »

Pendant ce temps, l’idée d’une « justice climatique » fait son chemin dans les pays pauvres. La militante écologiste kényane Wangari Maathai, prix Nobel de la paix, lance : « La justice climatique est essentielle pour l’Afrique, parce qu’elle a émis une quantité presque négligeable de carbone au cours des deux cents années d’industrialisation. Et pourtant, les scientifiques disent que c’est notre continent qui sera le plus sévèrement frappé par le réchauffement. » A l’initiative de plusieurs ONG sud-américaines, un symbolique « tribunal international de la justice climatique » s’est réuni en octobre en Bolivie, rapporte le site Médiapart. Parmi les plaignants figurent les Khapi, des Indiens installés à 6 400 m d’altitude dans les Andes boliviennes. Ces bergers dépendent des glaciers qui les entourent pour leurs ressources en eau. Mais les glaciers fondent à grande vitesse : les pâturages deviennent arides et disparaissent.

En Alaska, les Inuits du village de Kivalina ont déposé une plainte – officielle cette fois – contre Exxon Mobil, Chevron et Duke Energy, les géants américains du pétrole. Le pôle Nord est la région du globe qui se réchauffe le plus vite. L’océan Arctique monte, et avale peu à peu les maisons des pêcheurs de Kivalina, installées le long de la côte. Les quelque 400 habitants n’ont pas d’autre choix que de déménager leur village à l’intérieur des terres. Cela coûterait 400 millions de dollars, mais personne n’est prêt à financer l’opération. Et puis chaque année, la banquise reste gelée deux mois de moins qu’il y a un quart de siècle. La chasse en traîneau devient difficile. Des habitants sont morts noyés, à cause de la glace toujours plus fine et plus instable. Pour Kivalina, c’est clair : « Big Oil » est responsable, et doit payer. Les compagnies pétrolières refusent. En mai, le tribunal américain qui a été saisi s’est déclaré incompétent. Les Inuits, qui sont défendus par des juristes vétérans des procès contre les fabricants de tabac, comptent faire appel. —


LE PETROLE AU BORD DU PRECIPICE

Et si la fin du pétrole nous tirait d’affaire ? Si le monde devait bientôt commencer à manquer d’or noir, il y aurait de fortes chances pour que nos émissions de gaz à effet de serre diminuent rapidement. Le spectre du peak oil se rapproche. Le peak oil, c’est l’instant historique futur à partir duquel la production pétrolière commencera à décliner inexorablement, faute de réserves suffisantes encore à découvrir. Le débat entre experts fait rage : ce pic de production est-il pour 2025, ou bien pour tout de suite ? Ce graphique montre le sérieux du problème. Il a été discrètement mis en ligne par le département américain de l’Energie en avril. Terra eco est le premier média à le reproduire. Il prouve qu’après 2011, Washington ignore ce qui pourra compenser le déclin, déjà amorcé, d’un grand nombre d’exploitations pétrolières mondiales.

Photo : Reuters


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