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Le faux départ de la bourse carbone
dimanche, 29 novembre 2009 / Matthieu Auzanneau /

Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde

Le marché des droits d’émission de CO2 est l’outil choisi par l’Europe pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Mais ce vaisseau amiral, lancé en 2005 contre le réchauffement, ne s’est guère éloigné du quai.

Aujourd’hui, chaque Etat membre a défini des quotas d’émissions de CO2 pour 9 000 usines au total. Les industriels qui dépassent leurs quotas achètent des « tonnes de CO2 » à ceux, plus vertueux, qui ne les ont pas atteints. Ces droits à polluer se négocient sur la Bourse carbone. Jusqu’en 2007, le prix de la tonne n’a cessé de dégringoler vers une valeur proche de zéro. Pour une raison simple : les quotas avaient été fixés trop haut, la plupart des usines ne les ont donc jamais dépassés. L’incitation à réduire les émissions était alors à peu près égale à la valeur de la tonne de CO2 : nulle. « C’est normal, s’excuse Barbara Helfferich, porte-parole du commissaire européen à l’Environnement, quand nous avons établi les quotas en 2004, les industriels ont transmis des évaluations exagérées de leurs émissions réelles. »

C’est promis, le tir a été corrigé. « Les nouveaux quotas, valables jusqu’en 2012, sont plus stricts », rassure Serge Harry, directeur de BlueNext, bourse sur laquelle s’échangent les droits d’émissions. Pas aussi optimiste, Benoît Leguet, qui pilote la Mission climat à la Caisse des dépôts, l’un des principaux actionnaires de BlueNext, concède : « Il y a des chances pour que les quotas soient encore trop élevés », et donc que le prix de la tonne de CO2 reste faible. La tonne se négocie aujourd’hui aux alentours de 14 euros. Quel serait le niveau de prix capable d’inciter les pollueurs à agir vraiment ? Les avis des experts varient entre 30 et plus de 100 euros. Le chef économiste de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, note : « Les Bourses carbone auront du sens quand elles existeront dans de nombreux pays. » Car si la tonne de CO2 devenait trop chère en Europe, « les usines pourraient délocaliser pour aller polluer ailleurs », dit-il.

C’est l’un des enjeux cruciaux de la conférence de Copenhague. Obama s’est dit prêt à créer une Bourse carbone aux Etats-Unis, mais reconnaît qu’il faudra des années avant qu’elle puisse être lancée. L’UE se félicite d’avoir vu ses émissions baisser ces deux dernières années. Mais BlueNext n’y est pas pour grand-chose. En 2008, c’est la crise économique qui a freiné la consommation de pétrole. En 2007, d’après la Commission européenne, la baisse des émissions était surtout due « au prix élevé de l’essence » et… « aux températures élevées » (2007 a été l’une des années les plus chaudes jamais enregistrées en Europe, ndlr). C’est devenu une blague à la Commission de Bruxelles : si le prix de la tonne de CO2 ne décolle pas, on pourra réduire les émissions en baissant le chauffage… grâce au réchauffement climatique. —