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Extension du domaine de la teuf
dimanche, 29 novembre 2009 / Arnaud Gonzague

« Un nouvel art de militer », de Sébastien Porte et Cyril Cavalié, éd. Alternatives, 144 p., 25 euros.

Souvenez-vous, c’était au siècle dernier, il y a une éternité. Pour faire libérer un prisonnier politique sud-américain, on tapait une pétition à la machine – en Times New Roman, corps 8, illisible – puis on la faisait signer aux passants. Pour protester contre la fermeture d’une usine ou l’ouverture d’une centrale nucléaire, on organisait un piquet-brasero où l’on distribuait des tracts – en Courier Bold, corps 6, interdit aux presbytes. Et quand arrivaient les chaleurs du 1er mai, on défilait en rangs serrés, faisant voleter des banderoles rouges – en Arial, corps 752, qui vous flinguait les mirettes.

Que ces temps étaient tristes ! A en croire Un nouvel art de militer, les mouvements revendicatifs d’aujourd’hui seraient passés au Technicolor. Et ils iraient plus volontiers puiser leur inspiration dans les shows de Maritie et Gilbert Carpentier que dans la lecture du Capital de Marx. Des militants d’Act Up qui enfilent un préservatif géant sur l’obélisque de la Concorde aux « cyclonudistes » qui pédalent à poil contre la domination du tout-bagnole, des « farandoles citoyennes » du canal de l’Ourcq en faveur des sans-papiers à la remise des « Big Brother Awards », ces faux césars qui dénoncent les dérives sécuritaires, des Casseurs de Pub qui barbouillent les panneaux 4x3 dans le métro aux Enfants de Don Quichotte, qui dorment en compagnie des SDF… L’ouvrage dresse un panel quasi exhaustif des « happenings, luttes festives et actions directes » qui hantent nos médias depuis une quinzaine d’années. Le travail d’enquête est soigné, joliment écrit et superbement illustré.

L’ère du « politicotainement »

Mais une fois le livre refermé, une question nous taraude : ces carnavals engagés sont-ils le signe d’un renouveau militant, ou bien la victoire définitive et sans appel du spectacle, cher à Guy Debord ? Car si les écolos, gauchos, gays et autres féministes sortent les perruques, les cotillons et les slogans qui « cognent », ce n’est pas par bonne humeur. Mais parce que c’est le seul moyen qui leur reste de capter l’attention d’un homo multimedius surgavé d’images, dont la capacité d’indignation paraît épuisée d’avance. Alors, on divertit, on fait sourire, on interpelle, on étonne, en croisant les doigts pour que des journalistes passent par là et en fassent leur une du lendemain. Après l’infotainment – information + entertainment, donc l’info-spectacle –, nous voici entrés dans l’ère du politicotainment.

L’hémisphère droit du cerveau des citoyens – celui des émotions – est comblé. Mais le gauche, celui du raisonnement, ne piquerait-il pas un roupillon ? On repense à Philippe Muray, moraliste conservateur mais d’une grande lucidité sur nos mœurs, qui n’a eu de cesse de pourfendre le nouveau « festivisme » de nos sociétés. Il aurait adoré Un nouvel art de militer. —

Photo : jean-Marc Armani / Picturetank