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Les agrocarburants passent la seconde
dimanche, 29 novembre 2009
/ Julie Majerczak
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Vénérés puis honnis, les agrocarburants cherchent à se refaire une virginité. La deuxième génération veut prouver qu’elle peut nous délivrer de notre dépendance au pétrole. Enquête.
(A Bruxelles)
Ils ont pour nom : diester, bioéthanol et ETBE. Ils figurent au banc des accusés avec leurs homologues européens, américains et brésiliens. ils sont fabriqués à partir de betteraves, de blé, de maïs, de colza, de tournesol, puis mélangés dans des proportions croissantes à l’essence ou au gazole. Vous les avez reconnus, il s’agit des agrocarburants. Ils devaient nous permettre de rouler vert, nous délivrer de notre addiction au pétrole et offrir à nos agriculteurs de nouveaux débouchés. Aujourd’hui, on les soupçonne pêle-mêle d’affamer la planète - en faisant flamber le prix des matières premières et en détournant les pays pauvres de la production alimentaire pour les besoins en énergie des pays riches -, d’accélérer la déforestation et de menacer la biodiversité. Leur procès s’est ouvert au grand jour en 2008 quand la Banque mondiale, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ont successivement tiré la sonnette d’alarme.
Résultats : hormis l’ETBE, issu d’éthanol de betterave, de blé et de maïs, les carburants agricoles made in France s’en sortent plutôt bien avec une économie de 50 à 80 % d’émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles (essence et gazole). Pour les producteurs, c’est un sacré soulagement au vu de l’acte d’accusation. Les biocarburants ne sont cependant pas tirés d’affaire.
France Nature Environnement, Oxfam, Greenpeace et les Amis de la terre ont immédiatement dénoncé une évaluation « édulcorée » et « tronquée ». Leur principal grief : l’Adème a « oublié » le problème crucial du changement d’affectation des sols. La Commission européenne travaille à l’heure actuelle à la mise au point d’une méthodologie pour le quantifier, car elle est complexe à mesurer. Pour schématiser, s’il était prouvé, par exemple, que la production française de colza destinée aux réservoirs de nos voitures obligeait à importer davantage d’huile de palme alimentaire issue de la déforestation en Indonésie, le bilan deviendrait très discutable, si ce n’est indéfendable.
L’heure du jugement n’a pas encore sonné, mais les agrocarburants actuels sont à consommer avec modération. Tous les experts, y compris ceux de l’Ademe, conviennent qu’ils engloutissent trop d’hectares de terres cultivables. Pour 2010, la France s’est fixé un objectif d’incorporation de 7 %, soit l’équivalent de 2 millions d’hectares de cultures « énergétiques ». L’Union européenne a placé la barre à 10 % en 2020, mais elle parle « d’énergie renouvelable dans les transports », manière d’ouvrir la porte à d’autres technologies. Le hic, c’est qu’il est peu probable que ces dernières soient au point d’ici-là. Il y a pourtant urgence. Le transport par route représente 20 % des émissions européennes de CO2. Et surtout, il s’agit de l’un des rares secteurs où les émissions sont en forte croissance (+30 % entre 1990 et 2006). Le salut viendra-t-il de la deuxième génération d’agrocarburants ?
Autre ressource prometteuse : les cultures dédiées. Il s’agit de nouvelles cultures d’herbacées, comme le miscanthus et la switchgrass, ou d’arbustes qui poussent très rapidement et qui sont riches en lignocellulose. « Certaines de ces espèces ont aussi comme avantage de pouvoir pousser sur des terres caillouteuses », souligne Jean-Christophe Bureau, professeur à AgroParisTech. En clair, sur des surfaces non cultivables. cerise sur le gâteau, ces cultures dédiées sont moins gourmandes en pesticides et en engrais. Ce qui d’un point de vue environnemental n’est pas négligeable. Tiendrait-on la recette miracle ? « Il faut rester vigilant quant aux effets potentiellement indésirables de ces nouvelles cultures », met en garde Jean-Christophe Bureau. Le miscanthus est très en vogue, mais, à la manière du bambou, il développe d’importantes racines. A tel point qu’on ne sait pas si les sols sont récupérables après. Autre exemple : l’igniscum est une plante invasive interdite à la vente, mais commercialisée par une entreprise allemande. Reste le bois. « En France, il a un réel potentiel », estime Jean-Christophe Bureau. Le Grenelle de l’environnement a d’ailleurs fait le calcul : 10 millions de tonnes de bois par an seraient mobilisables dont 30 % pour les agrocarburants sans atteinte à la biodiversité des forêts. L’inconvénient, c’est que la collecte est assez coûteuse.
Et c’est là que le bât blesse : produire ces agrocarburants de deuxième génération coûte cher, trop cher. Selon Jean-Christophe Bureau, pour le BtL (Biomass to Liquid, soit le biodiesel de deuxième génération), la tonne de CO2 économisée reviendrait entre 200 et 300 euros, sachant que sur le marché du carbone, elle tourne autour de 20 euros. Mais, cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas devenir rentables, précise-t-il. Quoi qu’il en soit, « les agrocarburants, première ou deuxième génération, ne sont pas la solution à grande échelle pour substituer une énergie renouvelable à une énergie fossile », tranche Florence Jacquet. Tout en reconnaissant qu’ils ont une place « de l’ordre de 10 % ». « Il ne faut considérer les biocarburants ni comme la panacée, ni comme un paria mais comme toutes les technologies, ils constituent à la fois une chance et un défi » a récemment déclaré Achim Steiner, directeur du PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement). En clair, l’heure est venue de mettre la pédale douce sur les politiques publiques d’incitation et de réajuster les objectifs de production à des niveaux qui puissent être atteint de manière durable. Mais surtout, il faut continuer à chercher. —
Illustration : Steven Burke
Le problème du changement d’affectation des sols indirect selon l’ONG Oxfam France