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Et l’Inde inventa le paradis vert
dimanche, 29 novembre 2009
/ Anne-Gaëlle Rico
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L’Etat indien du Gujarat était jusqu’ici réputé pour ses industries lourdes et polluantes. Il l’est désormais aussi pour sa « zone économique verte ». Œuvre de Ganesh Devi, fondateur de l’ONG Bhasha, cet ambitieux projet associe agriculture biologique, microcrédit et formation universitaire.
(Envoyée spéciale dans l’Etat du Gujarat)
A Vedchhi, l’événement fait encore parler de lui. C’était juste avant l’été, la mousson n’avait pas encore commencé et la chaleur était insoutenable. Ils étaient pourtant plusieurs centaines d’hommes et de femmes, les enfants dans les bras, à s’être donné rendez-vous dans la petite ville indienne du Gujarat. Le cortège, avec ses visages creusés par le soleil et ses saris colorés, s’est alors ébranlé dans un joyeux brouhaha pour une marche de plus de 400 km à travers 170 villages afin de promouvoir la Green Economic Zone (zone économique verte, GEZ). « Nous voulons créer une zone où les villages sont autosuffisants tout en préservant l’environnement. Respecter l’homme et la nature », résume Ganesh Devi, le fondateur de l’ONG Bhasha – « voix » en hindi – à l’origine du projet en 2002.
Pour l’heure, leur priorité est de cultiver, en coopérative, « des produits à base de maïs biologique qui seront sur toutes les tables de petit déjeuner d’Asie. Ainsi, nous détrônerons Kellogg’s », ambitionne sans rire ce professeur de littérature et de sciences humaines. Et pour ce faire, l’organisation a un plan : « D’abord, nous allons diviser par deux le coût des intrants : un sac de 20 kg d’engrais chimique vaut 400 roupies (5,74 euros), contre 200 roupies pour du compost. Ensuite, nous allons supprimer les intermédiaires entre le producteur et le distributeur. Aujourd’hui, le kilo de maïs est payé 5 roupies (0,07 euro) au cultivateur, puis, après être passé entre les mains de nombreux intermédiaires, il est acheté trois fois plus cher par le vendeur final. Cette marge de 10 roupies doit revenir au producteur. On espère une augmentation de ses revenus de 150 % : les familles qui touchent aujourd’hui 60 euros par mois en auront 90 », explique Vipul Kapadia, responsable des activités économiques de Bhasha.
Le Gujarat est l’un des Etats les plus prospères de l’Inde, le Produit national brut (PNB) par habitant s’y élève à 610 euros contre 568 euros pour le reste du pays. Mais ce chiffre est trompeur, car il est gonflé artificiellement par les industries de l’Ouest. A l’Est, les populations d’agriculteurs souffrent. « Cela fait cinquante ans que je cultive ces champs. Je me rends compte que la terre s’épuise et perd sa fertilité », raconte Raju Bhai Rathva, patriarche dont dépendent une vingtaine de personnes. Le sol, épuisé par des années d’exploitation intensive et par les produits chimiques, ne devrait retrouver sa fertilité naturelle que dans trois ans. « La productivité des champs biologiques est inférieure de 10 % à 15 % par rapport aux champs cultivés avec des engrais “ classiques ”, mais les producteurs y gagneront car le coût de production sera moindre, promet Vipul Kapadia. Et on espère vendre nos produits à un prix supérieur à celui du marché. Mais pour cela, encore faut-il créer une clientèle prête à payer plus cher pour des produits de qualité. »
Aujourd’hui, plus de 1 200 villages sont concernés par la GEZ, soit un peu plus de 4 millions de personnes. Mais l’objectif est encore plus ambitieux : Bhasha compte toucher à terme 2 200 villages et plus de 8 millions d’habitants sur les 50 millions que compte l’Etat. On est loin de la petite ONG créée il y a douze ans pour promouvoir les langues des « tribus criminelles », menacées de disparition, à travers une maison d’édition. « Nos livres ont permis la sauvegarde et la diffusion de la culture tribale : les traditions agricoles, les musiques, les rituels… », constate Ganesh Devi.
Posé mais déterminé, il a obtenu en 1998 un terrain de 4 hectares à Tejgadh, un village à environ 200 km au sud-est d’Ahmedabad, la capitale de l’Etat, et y a fait construire une « université tribale ». C’est le centre névralgique du développement de la région : depuis l’an 2000, plusieurs centaines de jeunes y suivent une formation de deux ans. « Désormais, notre destin nous appartient. De la première décision théorique à l’application dans les villages, c’est nous qui décidons et qui gérons, se félicite Nagin Rathva tout en observant ses plants de maïs. J’ai passé six mois à l’université pour étudier les techniques de l’agriculture biologique et la stratégie de développement, puis six mois sur le terrain à recueillir des informations et à diffuser mes connaissances. Aujourd’hui, je suis responsable du Development Services Center (DSC) de ma région et professeur à l’université », annonce fièrement le trentenaire.
Les DSC sont des relais de développement qui couvrent toute la GEZ. A chaque problème sa solution. Les populations souffrent de la faim ? On crée des banques communes de grains. Les villageois se sont endettés auprès des propriétaires terriens ? On monte un système de microcrédit et 25 000 familles en bénéficient. On meurt de maladies curables ? Deux cliniques sont ouvertes. Les enfants sont illettrés ? Soixante écoles en scolarisent gratuitement 7 000. Les habitants s’exilent en ville et finissent sur les trottoirs de Bombay ? Une aide à la création de microentreprises est mise en place et implique aujourd’hui des dizaines de milliers de personnes.
Mais l’Etat a également fait son entrée, en 2007, dans la liste des dix sites les plus pollués de la planète, publiée par le Blacksmith Institute. Selon l’ONG américaine, plusieurs centaines de milliers de personnes seraient ainsi en danger à Vapi, une ville du golden corridor industriel. Plus de 50 entreprises d’Etat y déversent leurs déchets, en toute impunité. Les nappes phréatiques présentent un taux de mercure 96 fois supérieur aux normes de l’Organisation mondiale de la santé. Avec des taux de toxicité dépassant 60 fois les normes, les sols sont eux contaminés par des métaux lourds (cuivre, chrome, plomb) et des produits chimiques (pesticides, chlorobenzènes). Les femmes souffrent de stérilité et les fausses couches sont légion. Quant aux enfants, ils sont nombreux à naître prématurés ou à présenter des retards de développement. Mais rien n’y fait, Modi semble vouloir toujours plus d’investissement industriel pour son Etat.
Photos : Anne-Gaëlle Rico
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