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L’objet du mois : le saumon
dimanche, 29 novembre 2009
/ Anne-Françoise Hivert
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Vous l’imaginiez pêché en pleine mer au large de la Scandinavie ? Raté : le poisson rose est essentiellement produit dans des fermes aquacoles de Norvège. Et avant d’accoster nos assiettes, il vit tout sauf un long fleuve tranquille
(Envoyée spéciale en Norvège)
Mangez du saumon de Norvège, vous vieillirez moins vite. C’est le site institutionnel www.poissons-de-norvege.com qui l’assure. Une tranche de saumon fumé à Noël ajouté à un feuilleté au réveillon, et c’est une vague d’oméga-3 qui irradiera votre corps. Problème : cette potion miracle devient rare. Le saumon atlantique a en effet presque disparu des océans. Heureusement, la Norvège a pensé à vous. Elle est devenue le premier producteur mondial de saumon d’élevage, devant le Chili et le Canada. « Un produit d’avenir », martèle Maria Grimstad, du Centre des produits de la mer de Norvège à Paris. La preuve : « Avec 100 kg d’aliments, on “ fabrique ” 13 kg de filets de porc ou 20 kg de filets de poulet, mais on produit 65 kg de saumon. »
Le royaume brandit sa législation aquacole, l’une des plus strictes du monde. Le 1er avril dernier, le gouvernement de centre-gauche a enfoncé le clou, proposant pêle-mêle de multiplier les contrôles pour éviter que les poissons d’élevage s’échappent, de faire payer les éleveurs à chaque évasion, d’accroître le nombre d’inspections pour limiter la pollution causée par les fermes… Autant de mesures qui n’empêchent pas les organisations environnementales de grincer des dents. « Ici, les gens ont oublié qu’il y avait du saumon sauvage avant le saumon d’élevage, s’insurge Frida Bengtsson, porte-parole de Greenpeace à Oslo. Or, les fermes sont en train de devenir la plus grosse menace contre les poissons sauvages. » Jens Christian Holm, en charge du département d’aquaculture au Directorat des pêches, admet que « toute production animale a un coût environnemental, y compris l’industrie aquacole norvégienne ». Selon les récents calculs de l’Agence norvégienne de contrôle de la pollution (SFT), les rejets d’une ferme piscicole de moyenne importance produisant 3 120 tonnes de saumon sont équivalents aux rejets d’une ville de 50 000 habitants.
Dans les concessions – 900 permis ont été délivrés par le ministère de la Pêche depuis le début des années 1960 –, la réglementation ne tolère pas plus de 25 kg de poisson par m3 d’eau et 780 tonnes par ferme. L’emplacement de ces dernières est régulé en fonction des courants, de la profondeur des eaux, de la présence de poissons sauvages dans le voisinage, etc. Car il faut à tout prix limiter les risques de pollution et de contamination. Au fond de la mer, l’accumulation des déjections des poissons et des restes de leur nourriture pourrait être dangereuse pour les écosystèmes marins. Les poissons sauvages ne sont pas à l’abri non plus d’une infection, en cas d’épidémie dans une ferme. Tous les saumoneaux sont vaccinés avant d’être transférés en mer. « Les vaccins nous ont permis de réduire énormément les traitements médicamenteux », explique Henri Lapeyrère, directeur pour la France de la société norvégienne Leroy, second producteur mondial de saumon d’élevage. Mais ils ne protègent pas contre tous les parasites. Le pou de mer, par exemple. Si les saumons d’élevage peuvent être traités, par voie orale ou bain anti-poux, les poissons sauvages peuvent en mourir.
Autre casse-tête de l’industrie aquacole : l’alimentation. Si les saumons se nourrissent de plus en plus de végétaux, la moitié de leur alimentation a une origine animale. Une partie provient des détritus de la pêche, poissons morts ou trop petits notamment. Le reste est importé du Pérou, d’Islande ou du Danemark sous forme d’huiles ou de farines, transformées ensuite en granulés. L’industrie assure qu’elle n’utilise que des poissons qui ne sont pas consommés par les êtres humains. Mais selon Torbjørn Trondsen, professeur à l’Université de Tromsø, ce n’est qu’une demi-vérité : « La majorité des quotas de maquereaux pêchés en Islande, par exemple, est destinée à la production de farine animale. » En outre, même inadaptés à la consommation humaine, les petits poissons « sont essentiels à l’écosystème, puisqu’ils sont les seuls à se nourrir de plancton et à produire de la chair qui servira de nourriture à d’autres poissons ou à des oiseaux », souligne Gunnar Album, de l’organisation des Amis de la Terre (Naturvernforbund). D’autant que ces poissons sont souvent pêchés au chalut, néfaste pour les fonds marins, mais aussi pour le bilan carbone du saumon d’élevage.
Dernier point noir : la distribution. Si les producteurs ont troqué les caisses en polystyrène pour des caisses réutilisables, les transports entre Oslo et Paris s’effectuent toujours en camion, « faute d’un système ferroviaire européen suffisamment performant », selon Maria Grimstad. Chaque camion peut transporter 22 tonnes de filets de saumon ; la moitié seulement si le poisson n’est pas découpé. Or, les Français l’importent entier à 60 %… Une fois dans l’Hexagone, le poisson est conditionné, puis transporté vers les lieux de distribution. « Le problème, c’est que les gens consomment de plus en plus de poisson en barquettes », souligne Henri Lapeyrère. Les camions ne peuvent alors transporter qu’entre 3 et 4 tonnes de produit net, alourdissant encore un peu l’ardoise du bilan carbone. —
Illustration : Simon Astié
Le Centre des produits de la mer de Norvège
Rapport de l’ONG norvégienne Bellona sur les effets de l’aquaculture
La stratégie 2009 du ministère de la Pêche norvégien pour une aquaculture durable
Rapport 2008 du leader mondial d’aliments de la mer Marine Harvest