https://www.terraeco.net/spip.php?article7475
La lutte contre la faim désorientée
mercredi, 18 novembre 2009 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Comment combattre la faim ? Avec de l’argent bien sûr, mais encore faut-il s’entendre sur la méthode. Pour que tous les acteurs agissent de concert, une réforme de la gouvernance alimentaire mondiale est mise en place. Mais elle risque de se heurter au manque de volonté politique sur ce sujet.

Le Sommet mondial sur la sécurité alimentaire de la FAO s’est achevé à Rome mercredi sur un résultat annoncé avant même son démarrage : une déclaration commune ne comprenant ni calendrier ni engagements financiers. A elle seule, l’absence de chefs d’état du G8, hormis l’hôte italien Silvio Berlusconi, en dit long sur l’échec du sommet, alors que le cap du milliard d’affamés a été franchi cette année.

Pourtant, au-delà du manque récurrent de financement, se posait une question cruciale : celle de la gouvernance alimentaire mondiale, sur le tapis depuis juin 2008. C’était justement à Rome. Nicolas Sarkozy avait proposé de créer un Partenariat mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, une idée qui a débouché le mois dernier sur la réforme du Comité de la sécurité alimentaire (CSA), une institution rattachée à la FAO.

Des politiques éparpillées

Une réponse à un constat sans appel : actuellement le système "n’est pas organisé autrement que de façon sporadique et donc en réalité, très anarchique", explique Fanny Garcia, membre du projet de recherche européen Lascaux sur le droit alimentaire. Or, peut-être même plus que le montant, "la façon de dépenser est extrêmement importante. Il faut que les différents financements tirent dans le même sens, qu’ils s’accrochent à des politiques nationales cohérentes", indique Vincent Gitz, coordinateur du panel d’expert de haut niveau du CSA.

Le CSA a donc été remanié et deviendra une "plate-forme de discussion" intégrant les institutions de l’ONU concernées, la Banque mondiale et le FMI, les ONG, le secteur privé… Le tout appuyé par un panel d’experts "un peu sur le modèle du GIEC avec des scientifiques mais il comprendra aussi des gens qui ont une expérience de terrain", indique Vincent Gritz.

Exemple de conversation possible ? D’un côté, "la FAO a montré l’importance de développer l’agriculture familiale, explique-t-il. Si là-dessus l’OMC dit qu’il faut produire là où c’est le plus efficace et le moins cher et que le commerce international réglera tout ça, ce n’est pas du tout le même schéma". Du point de vue théorique, Damien Lagandré, du GRET, applaudit : tout le monde va enfin pouvoir se parler et décider la meilleure politique à adopter.

"Coquille vide"

Sauf que "cela ne sert à rien tant que les États ne doivent pas rendre des comptes devant le CSA. Ils peuvent donc dire d’un côté au CSA « oui il faut protéger l’agriculture familiale » tout en défendant à l’OMC toujours plus de libéralisations". Sur ce point, qui a donné lieu a des discussions serrées, la réforme prévoit cependant d’afficher des indicateurs mesurant les résultats des politiques. De quoi mettre un minimum les États face à leurs responsabilités.

Autre problème : faute d’implication politique, le CSA risque fort d’être la "coquille vide" dénoncée par le CCFD-Terre solidaire. "On est sûr que le squelette est suffisamment fort pour supporter toute la chaire qu’on voudra bien y mettre. Mais il va falloir lui donner du corps car cela peut très bien tourner à vide", concède Vincent Gritz.

Selon lui, "la déclaration du sommet donne au moins des éléments politiques forts qui vont former la feuille de route du CSA". Il compte aussi sur "la présence de la société civile et du secteur privé au sein du groupe consultatif pour forcer les états membres à avancer". Sauf que les décisions reviennent in fine aux gouvernements. "Et comme les États ne sont pas moteurs, on n’aura pas de grands changements", prédit Damien Lagandré.

Sortir des logiques marché

Pourquoi ? "Pour faire face aux contradictions du système de libre-échange qui n’améliore pas la sécurité alimentaire des peuples, il faudrait remettre en cause tout le paradigme. On préfère donc ne pas bouger et faire l’autruche", affirme-t-il. Peut-être aussi parce que, contrairement au changement climatique, les pays développés ne sont pas concernés. "Si par exemple le Brésil devait ne plus alimenter l’Europe en soja pour l’élevage, cela changerait la donne et on reverrait vite le modèle de production et d’échange", poursuit Damien Lagandré.

De manière générale, "l’insécurité alimentaire ne sera combattue que par l’instauration d’outils juridiques contraignants articulés autour d’une logique économique sociale et non de marché. L’exercice effectif du "droit à l’alimentation", pourtant maintes fois déclamé et une nouvelle fois encore lors du Sommet de Rome, ne passera que par cela", assure Fanny Garcia. C’est pour elle à "la cause du manque" qu’il faut s’attaquer et non aux "symptômes".

A lire aussi dans Terra eco :
- Sécurité alimentaire : "pas de solution sans le droit"
- "Tchad : Les paysans sont dépossédés de leurs terres
- Le chiffre : 1,2 milliards de personnes en état desous-nutrition
- Le livre : Voyage au cœur de la planète de la faim

- Photo : ©FAO/Alessandra Benedetti