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Etes-vous prêts à voter décroissant ?
lundi, 9 novembre 2009 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Habitués aux caricatures, les décroissants s’efforcent de se montrer sous un jour plus sexy. A quelques mois des élections régionales, les voilà qui donnent de la voix. Mais qui sont-ils et que veulent-ils vraiment ? Ont-ils une chance, enfin, de rassembler des voix autour de leur projet ? Zoom sur un mouvement politique qui se cherche encore.

“La force du capitalisme c’est de s’être rendu désirable grâce à la publicité et à des mensonges. Il a donné l’illusion que l’accumulation des biens apportait le bonheur. La décroissance aura gagné quand elle sera devenue désirable”, martèle Vincent Liegey. Avec Rocca Simon, il est porte-parole de l’association des objecteurs de croissance. Dans l’ombre d’un café parisien, devant un thé à la menthe, ces deux-là rembobinent l’histoire de leur mouvement. “Les gens pensaient qu’on ne se lavait pas, qu’on n’utilisait pas de coupe-ongles, qu’on communiquait par pigeons voyageurs ou signaux de fumée”, énumèrent les deux compères. De grossières caricatures qui, pendant des années, ont “savonné la planche” sous leur pied.

Mais depuis leur image a changé. Grâce à la crise et à l’effondrement des valeurs capitalistes notamment. “Les gens ont pris conscience de l’impasse dans laquelle on se trouve. Aujourd’hui, les médias et les partis politiques nous écoutent. Ils nous disent qu’ils ont besoin de nos idées”, souligne Vincent Liegey. Du coup, ils ont dépoussiéré leurs slogans. Loin de l’image austère et castratrice des premiers jours, les voilà marchands de bonheur et distributeurs d’optimisme. “Il faut une décroissance sereine, conviviale, souligne Rocca Simon. Aujourd’hui avec la récession, les gens sont malheureux, frustrés de ne pas pouvoir s’acheter une nouvelle télé. Il faut leur montrer qu’on peut adhérer à un autre modèle de société. Décoloniser son imaginaire.”

Occuper le terrain politique

Et pour ça, les décroissants ont des idées plein la caboche. D’abord réduire le temps de travail, donc la production et la consommation, fixer un revenu maximum ou instituer la gratuité du bon usage. “Est-ce que c’est vraiment normal que l’eau ait le même prix quand elle est utilisée pour boire ou pour remplir une piscine ?”, s’interroge Vincent Liegey qui prône l’idée d’une eau essentielle gratuite à la consommation et d’une eau superficielle payable par un travail à la communauté.

Des idées certes mais peu nouvelles, avance Yves Frémion, député européen Vert. "Nous déjà, en mai 68, on avait un discours contre la consommation, un de frugalité. On roulait dans de vieille 2CVs et on se faisait traiter de petits bourgeois". Bien sûr, la décroissance ne date pas d’hier. Né dans les années 70, après la publication d’un texte de Nicholas Georgescu – Roegen (1), mathématicien et économiste roumain, le courant a ressuscité dans les années 2000, autour de quelques intellectuels comme Paul Ariès ou Serge Latouche.

La nouveauté se trouve plutôt du côté de la politisation du mouvement. Celle-là date de 2006 quand Vincent Cheynet, le leader des Casseurs de pub, lance le parti pour la Décroissance (PPLD). Celui-là vacille assez vite. Problème de “fonds, de personnes aussi”, confie Vincent Liegey. Un an plus tard, c’est le mouvement des objecteurs de croissance (MOC) qui voit le jour. Les deux entités se retrouve en 2008 pour créer l’Association des objecteurs de croissance (Adoc) et former la liste Europe Décroissance. Des structures multiformes nourries à l’aune de plusieurs revues : La Décroissance, Silence et Entropia. Il y a de quoi en perdre son latin. “C’est une grande auberge espagnole,, concède Vincent Liegey. Et rien n’est encore très fixé. La prochaine assemblée générale du parti pour la décroissance doit avoir lieu en janvier. Et devra définir un nouveau statut avec une “structure plus en cohérence avec le mouvement”.

La preuve des Décroissants ?

Une mutation politique qui, pour l’instant, ne séduit pas grand monde. Aux dernières européennes, la liste des Décroissants n’avaient écopé que 0,04 % des voix. Pourtant, ceux-là comptent bien se présenter aux régionales. “Si on a des élus on sera très contents mais l’objectif est avant tout d’ouvrir certains débats ”, précise Vincent Liegey. Impossible pour eux de faire un gros score, estime Daniel Boy, chercheur au Cevipof et spécialiste de l’écologie politique. “C’est vrai, les gens changent petit à petit leur comportement. Ils comprennent qu’il faut vivre simplement, réduire sa consommation, polluer un peu moins. Mais adhérer au mouvement radical de la décroissance, c’est plus difficile. Il faut déjà avoir un engagement assez fort. S’ils font 1, 2 ou 3% ce sera déjà beaucoup."

"Il faut distinguer le concept de la décroissance qui peut séduire des gens avec une traduction politique, opine Yves Frémion qui compare l’ambition des Décroissants avec celle de José Bové, candidat à la dernière présidentielle. "Vu le nombre de gens qui se disent altermondialistes, il pensait qu’il y avait un créneau. Mais le mouvement de sympathie ne suffit pas. Il faut vingt ans pour monter quelque chose. Il s’est cassé le nez." Les décroissants, eux, iront quand même au front.

A lire aussi dans Terra eco :
- Claude Allègre : Hulot est une honte pour l’écologie française
- Décroissance aux deux extrêmes
- Croissance pour tous ?

- Journal la Décroissance
- Revue Silence
- Entropia
- Le Mouvement des objecteurs de croissance
- Le parti pour la Décroissance
- L’association des objecteurs de croissance