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Recyclage des portables : l’embarras du choix
jeudi, 22 avril 2010 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

A l’occasion de la journée de la Terre, Orange lance une opération de collecte de vieux mobiles, avec le rugbyman Sébastien Chabal en 1ère ligne. Depuis quelques mois, les initiatives visant à leur donner donner une seconde vie se sont multipliées. Écologique, social, caritatif et financier : les acteurs rivalisent d’arguments.

Début octobre, une petite start-up française de l’univers du mobile faisait parler d’elle en remportant le Grand Prix Médicis 2009 des micro-entreprises. Elle ne crée pas d’application pour iPhone, n’est pas à l’origine du dernier réseau social tendance et ne propose pas de forfait à des prix imbattables. Non, MonExTel récupère des téléphones d’occasion sur Internet… L’idée est simple : financer des associations grâce à votre « ex »-téléphone. En quelque clics, le site vous indique le montant du don qui sera reversé puis vous propose de choisir une cause qui vous tient à cœur, avant de vous fournir une étiquette pré-affranchie, synonyme d’envoi gratuit.

Moins d’un portable sur dix recyclé

« Je sortais d’une mission d’un an avec Benoit Varin (l’un des fondateurs, ndlr) sur le réemploi et le recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques (D3E) dans les pays du Sud. Avant d’aller monter un projet à l’étranger, on s’est dit qu’il fallait regarder ce qui se faisait en France. Or, malgré les solutions qui existent déjà, auprès des opérateurs notamment, on a constaté qu’il y a un taux de réemploi très bas », raconte Pierre-Étienne Roinat , président de MonExTel. Et pour cause : seulement 9% des Français recyclent leur ancien portable, selon un sondage TNS Sofres réalisé en 2008 pour l’association française des opérateurs mobiles. D’ailleurs, plus d’un sur deux avoue ne pas savoir comment s’y prendre…

« On s’est dit qu’il fallait proposer un moyen facile, gratuit et incitatif », poursuit Pierre-Étienne Roinat. Une méthode baptisée « re-commerce ». « C’est l’e-commerce inversé, nécessaire dans un monde où le réemploi est appelé à devenir systématique. Jusqu’à présent il n’y avait pas d’outil qui permette de se débarrasser d’un produit aussi simplement qu’on le commande sur e-bay », explique-t-il.

Un chèque ou un don

Il en existe maintenant deux. Car, dans la foulée du lancement de MonExTel en septembre, Regenersis, le leader du marché, s’est mis au goût du jour. Seule différence apparente : son site foneback.fr vous laisse le choix : soutenir une association [1] ou garder l’argent. « L’axe environnemental (voir ci-dessous) à lui seul ne suffit pas pour générer des retours importants. Il faut une dimension caritative ou financière », justifie Jean-Lionel Laccourreye, directeur France du groupe.

Pour se démarquer, Jean-Lionel Laccourreye insiste sur la « légitimité » de l’offre de Regenersis, qui a pris en charge deux millions de téléphones en 2008 : « les autres acteurs du marché, on les a vu naître. Ce service est une évolution naturelle de ce que l’on propose depuis 2001. Par exemple, notre partenariat avec le Téléthon a commencé en 2005 », rappelle-t-il. De son côté, MonExTel joue la carte de la souplesse : « n’importe quelle association, de l’ONG internationale à l’association locale, peut rejoindre gratuitement la liste des associations partenaires », affirme le site. Seule condition, être « en phase avec les valeurs développement durable ».

Filière d’insertion

Dans les deux cas, une touche sociale vient s’ajouter à l’argumentaire. Ainsi, MonExTel fait appel à un établissement et service d’aide par le travail, qui emploie des personnes handicapées, et Foneback met en avant un accord avec Envie, un réseau d’insertion spécialisé dans les D3E. Un aspect inévitable, quand l’autre acteur historique de l’activité s’appelle Emmaüs, via l’entreprise d’insertion les Ateliers du Bocage.

Autre constante : la revente des téléphones fonctionnels à des personnes à faible pouvoir d’achat. C’est le cas au sein du réseau Emmaüs, mais aussi pour MonExTel et Fonebak. « Le marché prioritaire c’est d’abord la France où il faut réduire la fracture numérique, mais une partie est aussi envoyée à l’international, où nous imposons aux racheteurs de signer une charte », détaille Pierre-Étienne Roinat.

Mais de ce côté, un problème subsiste : envoyer les vieux mobiles dans les pays du Sud, n’est-ce pas déplacer le problème des déchets en prenant le risque qu’ils soient jetés ou recyclés dans des conditions pires qu’en France, une fois hors d’usage ? « Nous sommes un peu impuissants face à cela », concède Pierre-Étienne Roinat. Du moins en tant que MonExTel. Au sein de TIC-Ethic, les deux fondateurs entendent continuer leur travail pour « augmenter les capacités de recyclage de ces pays ». Ils ont notamment participé à la création d’un « guide du recyclage des PC », en partenariat avec l’Unesco et Les Ateliers du Bocage.

Bilan environnemental

Si c’est mieux que de le jeter (ce que font encore 6% des Français), conserver son vieux portable au fonds d’un tiroir (solution choisie par 42% de nos concitoyens) n’est pas non plus totalement écolo. Car, si l’on combine cette fâcheuse habitude avec celle de changer de portable tous les 18 mois, on arrive à un chiffre inquiétant : 22 millions de téléphones portables sont mis sur le marché chaque année dans l’Hexagone. Or, la production de cette armada de bijoux technologiques demande l’équivalent d’environ 100 000 tonnes de pétrole [2] et rejette presque 220 000 tonnes de CO2 ! Car, dans la vie d’un portable ce n’est pas l’usage ou le transport qui plombe le bilan, mais bien la fabrication.

Pour limiter la facture, deux solutions complémentaires. La première est d’amortir cette étape en allongeant la durée d’utilisation du mobile, qui peut tenir facilement sept ans. Ceux qui tiennent à s’en débarrasser peuvent toujours le donner à un proche, comme 27% des Français, ou s’adresser à un des prestataires qui, on l’a vu, ne recyclent que les appareils hors d’usage. Pour la deuxième, on prend les même et on recommence puisqu’il s’agit justement du recyclage. Une opération qui permet d’alléger de moitié le bilan en terme d’épuisement des ressources naturelles et de 20% les émissions de gaz à effet de serre.

Les opérateurs plafonnent

Et les opérateurs dans tout cela ? Ils misent sur les mêmes ressorts. Orange a lancé en juin son programme « Seconde Vie Mobile », qui promet un chèque cadeau de 30 ou 70 euros contre la reprise d’un appareil en état de marche ainsi que 5 euros reversés à Emmaüs International « pour travailler à la collecte et au recyclage des mobiles en fin de vie en Afrique ». SFR, qui reversait jusqu’à présent l’intégralité des bénéfices aux associations La Voix de l’enfant et Fondaterra, a récemment suivi le mouvement : depuis le 16 mars, elles touchent 4 euros et le client reçoit un bon d’achat valable le jour même. Plus novateur, l’opérateur a lancé le 1er avril un système d’affichage environnemental des mobiles, avec une note sur 5 en fonction des émissions de gaz à effet de serre, de la consommation de ressources non renouvelables et d’eau. Mais pour l’instant seuls 40 modèles sont intégrés. Bouygues a lui abandonné au bout d’un an son opération de reprise des téléphones à 10 euros, lancée en mai 2007, pour signer un partenariat avec les Ateliers du Bocage.

Mais le bilan reste en deçà des enjeux : 500 000 mobiles collectés en moyenne dans leurs boutiques. En juin dernier, le Figaro révélait un projet de Jean-Louis Borloo qui aurait pu booster la collecte. Il s’agissait de prélever 5 euros à l’achat puis de les restituer lorsque les usagers ramènent le mobile. Un système de consigne auquel le ministère du Développement durable n’a pour l’instant pas donné suite. Il y a donc encore de place pour les idées neuve sur ce marché du recyclage.

La campagne pub d’Orange avec Sébastien Chabal :

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