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Ils pointent du doigt notre rapport contradictoire aux animaux
lundi, 29 février 2016 / Camille Chandès

« Le fait qu’une personne, dans un repas collectif, refuse de consommer des produits animaux pour des raisons d’éthique instaure souvent un malaise parce que cela amène des questions morales à table », avance le philosophe végane Martin Gibert, auteur de Voir son steak comme un animal mort (Lux, 2015). Les végétariens, en ne voulant pas contribuer à la souffrance des animaux et à leur exploitation – c’est très souvent leur première motivation –, nous rappelle que derrière la saucisse, le jambon ou les lardons emballés dans leurs barquettes sous vide se cachait auparavant un animal bien vivant doué d’émotions, de capacité à ressentir le stress et la douleur. Et qui n’a pas forcément été bien traité durant sa courte vie.

Le paradoxe de la viande

Animaux confinés dans des bâtiments fermés, poussins mâles broyés à la naissance dans la filière « ponte », races de poules sélectionnées pour produire le plus grand nombre d’œufs possible (300 par an en moyenne), séparation précoce des mères (vaches, brebis, chèvres) et de leurs petits pour finir par un abattage à la chaîne… L’élevage intensif, qui fournit près de 80% des animaux consommés par les humains, n’est pas vraiment réputé pour la prise en compte du bien-être des animaux. Dans le monde, 60 milliards d’animaux prennent ainsi chaque année le chemin des abattoirs – dont plus d’1,1 milliard en France – pour finir dans les assiettes. Des données auxquelles il faut ajouter les 148 millions de tonnes de poissons pêchés selon l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, chiffre 2010). Nous serions donc en plein paradoxe de la viande. « Chez toutes les personnes qui aiment les animaux et qui en mangent se produit un phénomène que les psychologues appellent la dissonance cognitive : il y a une forme de tension entre le fait de ne pas vouloir faire souffrir les animaux, d’apprécier le steak et de devoir tuer pour cela. L’être humain aime se considérer comme une bonne personne », développe Martin Gibert. Selon lui, pour dissoudre ce malaise, le cerveau met en place différentes stratégies. L’une d’elles – celle adoptée par les végétariens – consiste à changer d’habitudes alimentaires. « L’être humain est résistant au changement, ce qui est encore plus vrai dans le cadre de la nourriture, car nos goûts culinaires sont formés dans notre enfance. Cela suppose une transition délicate mais loin d’être impossible », poursuit-il.

« Une menace morale »

Le plus souvent, ce sont donc d’autres tactiques moins « coûteuses » qui se mettent en place afin de résoudre l’incompatibilité entre ces croyances contraires (ne pas aimer faire souffrir les animaux et les manger). Elles consistent à se persuader que consommer de la viande est normal (« Tout le monde le fait, cela doit être acceptable »), naturel (« Les hommes ont toujours mangé de la viande ») et nécessaire (« Il est bon pour la santé de consommer des produits animaux »). Selon la psychologue canadienne Sue Donaldson, certaines études montrent que la présence d’un végane autour de la table provoque « une menace morale » chez ceux qui ne le sont pas. Cela crée un stress et une remise en question qui déclenchent à leur tour dénigrement ou moquerie du malheureux convive… —