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Le champignon de Paris prend son pied loin de la capitale
lundi, 29 février 2016
/ Claire Baudiffier
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Les champignonnières ont déserté l’Ile-de-France. Aujourd’hui, Agaricus bisporus se plaît dans le noir polonais… et dans le Saumurois. Reportage.
Montsoreau (Maine-et-Loire), ce matin de janvier. La Loire est calme, presque figée. Le brouillard glacial qui enveloppe les terres maraîchères alentour se dissipe peu à peu. Le soleil hivernal perce entre les arbres dénudés. Il est à peine 9 heures et Laurence Laboutière vient de livrer un restaurateur du village. Elle s’arrête sur le parking en contrebas de sa champignonnière pour vérifier son compost en provenance de Bretagne. Elle perce les sacs en plastique avec son couteau et lance : « Tout semble bien : la couleur, le mycélium (l’ensemble des filaments qui constitue la partie végétative du champignon, ndlr)… » Puis grimpe à bord de sa voiture pour rejoindre les cavités troglodytiques taillées dans le coteau du Saut-aux-Loups. Jusqu’au milieu du siècle dernier, on y extrayait le tuffeau des galeries souterraines pour la construction. Depuis dix ans, Laurence Laboutière y cultive des champignons. Des pleurotes, des shiitakes, des champignons de Paris, des pholiotes… Une quinzaine de variétés réparties sur l’année, qu’elle distribue en vente directe.
Si, dans les maisons de culture, les températures sont maintenues entre 16°C et 19°C, dans les cavités de la champignonniste, elles varient. « Il ne faut pas descendre en dessous de 2°C l’hiver. Pour cela, j’arrose le sol à l’eau chaude. L’été, les cavités peuvent atteindre 28°C, mais c’est rare. Dans ce cas, l’idéal est d’humidifier régulièrement et d’adapter les variétés cultivées. » Dans sa champignonnière, ni eau ni électricité. « Je fonctionne à la lumière naturelle. » Car les cavités qui ont une ouverture sur l’extérieur sont très lumineuses. Certaines disposent même d’une fenêtre. Dans les autres, la champignonniste se coiffe de sa lampe frontale, toujours à son cou !
Observer et encore observer
A chaque cavité son champignon. Si celui de Paris se plaît dans le noir complet, les pleurotes et les shiitakes ont besoin de luminosité. Pour ces deux variétés, la culture se fait en « murettes ». Une partie des blocs de compost – un mélange de paille de blé et de fumier de cheval enrichi en mycélium – sont disposés sur des caissettes, les autres sont installés dessus, de façon à former une sorte d’escalier. « Avant, les champignonnistes mettaient ça au sol, mais je préfère ce système car il y a un effet de masse. Les blocs se parlent, sourit-elle en donnant un grand coup sur le début de la murette qui finit par résonner quelques instants plus tard au bout de la rangée. Là, on s’en rend moins compte, mais au printemps, tout se parle. Le mycélium est messager. Si j’isole un bloc dans une cavité, la pousse ne sera pas la même. Et puis, ergonomiquement, c’est mieux. » Ce matin-là, Laurence Laboutière récolte des shiitakes. La cueillette se fait à la main, avec des gants et un couteau si la souche est coriace.
« La base de mon travail, c’est de comprendre le temps, la température, le taux d’humidité, les vents, explique-t-elle en pointant du doigt, au loin, la centrale nucléaire de Chinon et ses panaches de fumée. Et aussi de regarder la lune. Quand on a compris ça, on s’amuse. » Observer et encore observer, c’est ce qu’elle fait depuis des années. Avant, elle a longtemps été chercheuse en génétique du champignon, participant notamment à la sélection de variétés. Parmi elles, le champignon de Paris – Agaricus bisporus – est roi. Et l’essentiel est cultivé ici, dans le Saumurois. « Au début du XIXe siècle, les cultures ont quitté les souterrains de Paris, saturés notamment avec la création du métro, et sont venues s’installer dans la région, dans les carrières de tuffeau (seuls cinq champignonnistes subsistent aujourd’hui en Ile-de-France, ndlr). Les cavités étaient inutilisées et offraient un climat favorable », raconte Catherine Poudret, responsable du musée du Champignon à Saumur, qui précise que « la ville était capitale du cheval et ainsi pourvoyeuse de quantités importantes de fumier, indispensable au compost. »
En 2014, les Français ont consommé, par foyer, 2,5 kg de champignons de Paris frais et plus de quatre boîtes de conserve, selon l’Association nationale interprofessionnelle du champignon de couche (Anicc). Pourtant, depuis une quarantaine d’années, le nombre d’exploitations chute. On en comptait 377 en 1970, 238 en 1990, 108 en 2000 et 55 en 2014. « Nous avons commencé à ressentir la concurrence étrangère à partir des années 2000, notamment de la Pologne, qui est devenu le premier producteur européen », explique Elodie Deckert, secrétaire générale de l’Anicc. Ainsi, en 2014, la Pologne produisait 315 000 tonnes (contre 80 000 en 1996) et la France environ 100 000 (165 000 en 1996). Dans l’Hexagone, le leader du secteur, France champignon, a fourni 67 000 tonnes en 2015. Cette coopérative regroupe une dizaine de producteurs du Val-de-Loire, pour un millier de salariés. 10% des champignons sont vendus frais, 7% sont conditionnés en surgelés et la grosse majorité – 83% – en conserve, commercialisés notamment sous la marque Bonduelle, actionnaire principal de France champignon.
Pour la conserve, le champignon est cueilli de manière automatique. Pas manuellement, comme pour les champignons frais. Réfrigéré, il est ensuite livré sans le pied dans les usines de transformation, puis classifié selon sa qualité, blanchi, parfois émincé et mis en boîte. « On a supprimé les acidifiants pour la gamme Bonduelle, grâce à des normes d’hygiène beaucoup plus élevées », explique Evert Jan Mink, directeur général de France champignon. Mais face aux concurrences européennes et au coût du travail polonais, très inférieur, le groupe a dû s’adapter. « Deux sites ont été ou vont être fermés, à Falaise (Calvados) et Thouars (Deux-Sèvres), poursuit Evert Jan Mink. La transformation sera regroupée sur le site de Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire). » 29 postes supprimés à Falaise et 138 à Thouars. 6,4 millions d’euros sont investis dans l’usine de Doué-la-Fontaine et 77 postes vont y être créés (destinés en priorité aux salariés thouarsais).
Cueillette à la main
« 27% seulement des champignons vendus dans l’Hexagone sont français. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur les étiquettes et vous vous en rendrez compte », détaille Emmanuelle Roze, cocréatrice de Lou. Si cette société importait ses champignons de Pologne, d’Irlande et des Pays-Bas à ses débuts, elle a fait le choix l’an passé d’une production française. En juin 2015, Lou est passé de 5 à 120 salariés (dont 100 cueilleurs). 8 millions d’euros ont été investis dans 10 000 mètres carrés de maison de culture à Poilley (Ille-et-Vilaine). « Les principes de culture sont identiques à ceux des caves. Le travail est moins difficile pour nos cueilleurs qu’il ne l’était dans les caves. Nous avons davantage de lumière et plus de facilité à réguler température et humidité. » La cueillette se fait à la main au bout de trois semaines pour la première « volée ». D’autres récoltes sont encore possibles sur le même compost, pendant trois à quatre semaines. Le compost est ensuite utilisé pour fertiliser les champs ou les jardins. Comme chez Laurence Laboutière, qui l’offre à ses clients.
Le compost, c’est le nerf de la guerre. Et ce qui explique aussi qu’en France on cultive essentiellement du champignon de Paris. Car chaque variété a besoin d’un compost spécifique. Or, il existe très peu de fabricants de compost de pleurotes ou de shiitakes. Idem pour le compost bio, difficile à trouver dans l’Hexagone. Pour l’Agaricus bisporus, certains professionnels réunis en coopérative ont leur propre centrale de compostage, comme Dominique Duchêne, champignonniste en maison de culture à Bourgueil (Indre-et-Loire), associé avec quatre collègues. « C’est plus simple que de le faire tout seul, ce que je faisais il y a des années, mais je perdais une énergie phénoménale. » D’autres, comme Lou, ne trouvent pas les quantités suffisantes en France et le font venir de Belgique. Laurence Laboutière, elle, se fournit dans différentes centrales françaises, parfois en bio. Pour sa culture de champignons de Paris, elle réalise aussi l’ensemencement de son compost « pour gagner en autonomie ». Après cette étape, elle ajoute la terre de gobetage, un mélange de tuffeau et de tourbe ou de chaux et de tourbe. « C’est ce qui donne un goût. » Quant aux produits phytosanitaires, ils sont persona non grata dans ses cavités. « Comme chez la plupart des producteurs », souligne Dominique Duchêne, par ailleurs responsable du Centre technique du champignon. « Très peu de pesticides existent désormais car nous sommes une petite filière. Avant, nous désinfections les caves avec moult produits, mais aujourd’hui, tout se fait à l’eau claire. » Alors, plus sain pour le consommateur le champignon d’aujourd’hui ? « Sans aucun doute ! » —
Le champignon climato-compatible
Il tolère la chaleur, le champignon de Paris. Et c’est un atout ! Des chercheurs en génétique de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) ont identifié des variétés capables de se développer à 25 °C. Ces champignons « thermo-tolérants » permettraient à la profession (notamment aux maisons de culture) de diminuer ses dépenses énergétiques et son impact environnemental, de cultiver dans d’autres régions du globe, mais aussi de s’adapter au réchauffement climatique de la planète. —
Pour aller plus loin
Rapport ANICC/France Agrimer sur la filière
Le Centre technique du champignon
Les travaux de l’Inra sur les champignons « thermo-tolérants »