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Nucléaire : les contrevérités françaises sur le choix allemand
jeudi, 21 janvier 2016 / Amélie Mougey

Oui, nos voisins ont lâché l’atome. Mais dans le même temps, ils relancent le charbon, polluent et font exploser la facture des consommateurs. Des accusations méritées ?

Sous des airs d’élève modèle, l’Allemagne cacherait mal une transition énergétique bancale. Le refrain est populaire dans les discours médiatiques et politiques français. Au lendemain de la COP21, Maud Fontenoy, déléguée à l’environnement du parti Les Républicains, y allait de son couplet : « Les Etats qui ont choisi de réduire la part du nucléaire (…) ont augmenté leurs émissions de gaz à effet de serre, affirmait l’ex-navigatrice dans Le Monde. L’Allemagne, pour un surcoût annuel de 27 milliards d’euros, réexploite des mines de charbon à ciel ouvert. »

En décidant de se priver de l’atome après 2022, l’Allemagne serait devenu un contre-exemple ? L’attaque n’est pas l’apanage de la droite. En 2014, Ségolène Royal raillait ces pays qui, tandis qu’ils arrêtent leurs réacteurs, « rouvrent des centrales à charbon » et « achètent en France de l’électricité d’origine nucléaire ». Passage en revue des raccourcis, exagérations et contrevérités sur le sujet.

L’Allemagne importe du nucléaire

Avec ou sans l’atome français, les Allemands ne risque pas le black out. Centrales thermiques et énergies renouvelables cumulées, le pays possède une capacité annuelle de production de 193 gigawatts (GW) pour « une consommation qui culmine au pire à 80 GW », écrit Vincent Boulanger dans Transition énergétique, comment fait l’Allemagne (Les Petits matins, 2015). Outre-Rhin, on se chauffe surtout au gaz, ce qui permet d’aborder les hivers rigoureux sans craindre les coupures généralisées. La menace plane plutôt sur la France où le radiateur électrique est roi. « Si l’on prend le solde annuel, la France est importateur net d’électricité allemande », explique l’auteur de vive voix. Le bilan dressé par RTE confirme : en 2014, la France a importé 13,2 térawattheures (TWh) d’électricité allemande pour 7,3 TWh exportés.

Elle se rabat sur le charbon

Le pays carbure encore à la plus polluante des énergies. En 2014, le charbon pesait pour 43,2% du mix électrique allemand. Cette part, en baisse depuis 1990, est repartie à la hausse au cours des trois années qui ont suivi l’annonce, en 2011, d’une sortie du nucléaire. Il n’en fallait pas plus pour que les journaux télévisés français présentent les villages sacrifiés à l’extension de mines comme le résultat de ce choix. Les deux phénomènes, pourtant, ne sont pas liés. Le charbon n’a pas été relancé avec l’arrêt des réacteurs : sa part n’est jamais tombée sous la barre des 40%. En 2011, il a simplement « bénéficié d’une conjoncture momentanément favorable : un prix élevé du gaz, des cours de la houille très bas et un prix du CO2 ridicule sur le marché des quotas européens, souligne Vincent Boulanger. Par ailleurs, la quantité d’électricité “perdue” du fait de l’arrêt des réacteurs a été plus que compensée par le développement des énergies renouvelables. » Les chiffres confirment : quand, entre 2010 et 2013, l’Allemagne se privait de 43,3 TWh d’énergie nucléaire, la production en renouvelables grimpait de 47,6 TWh. « Le choix du charbon est politique, estime Jens Althoff, directeur à Paris de la fondation Heinrich Boëll, le think thank des Verts allemands qui milite pour un recours accru au gaz le temps de la transition. Mais les élus des régions où le charbon est pourvoyeur d’emplois ne souhaitent pas le voir reculer. »

… et pollue de plus belle

Conséquence de cet attachement à la mine, en 2013 et 2014, les émissions de gaz à effet de serre par Allemand, déjà supérieures à celles des Français, ont augmenté. Un bilan que Stéphane Hallegatte, spécialiste du changement climatique à la Banque mondiale, regarde avec clémence : « Les Allemands mènent deux transitions énergétiques en même temps », précise-t-il, rappelant que le succès de tels tournants se juge sur trente ou quarante ans. A cette échéance, l’Allemagne mise sur une baisse de ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 80% par rapport à 1990. Une trajectoire bien engagée : depuis le lancement de la transition en 2010, les énergies renouvelables se sont développées à un rythme effréné pour fournir aujourd’hui près du tiers de l’électricité. « En envoyant ce signal fort, les Allemands ont rendu possible des innovations technologiques et des baisses de prix dont tout le monde va profiter. On peut les remercier », poursuit l’économiste, soulignant que « le pays n’est responsable que de 0,5% des émissions mondiales ».

Le prix de l’électricité a explosé

C’est là l’affirmation la plus fondée. Le coût du kilowattheure est deux fois plus élevé en Allemagne qu’en France. Mais ces chiffres seuls sont trompeurs : les Allemands ont une consommation d’électricité en moyenne 30% inférieure à la nôtre. L’efficacité énergétique, maître-mot outre-Rhin, s’est déjà traduite par une baisse de la consommation de 5% depuis 2008. Pour atteindre l’objectif d’une division par deux à l’horizon 2050, le choix d’une énergie chère est assumé. De l’autre côté de la balance, en France, « il faut considérer les coûts cachés du nucléaire, ceux du traitement des déchets, que les Français paient via leurs impôts », renchérit Jens Althoff qui estime qu’« à l’inverse, le coût de la transition allemande est un investissement pour le futur ».

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