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May Boeve, le cauchemar des pétroliers
jeudi, 10 décembre 2015 / Amélie Mougey

Cette Californienne mène avec sérénité 350.org, ONG internationale à la croissance exponentielle, qui a pour combat le climat et pour principale stratégie la guerre aux énergies fossiles. Rencontre.

Elle a un petit quelque chose de première de la classe. Des cheveux blonds mi-longs soigneusement coiffés, des pull-overs aux couleurs chaudes. Son regard bienveillant et sa tendance très prononcée à opiner du chef renforcent la première impression : May Boeve est inoffensive. Pourtant, en à peine deux ans, la jeune directrice de 350.org est devenue le cauchemar des pétroliers. Depuis le lancement de la campagne de désinvestissement baptisée « Divest/Invest », le réseau qu’elle coordonne a convaincu 500 institutions et plus de 2 000 particuliers, pesant collectivement plus de 3 400 milliards de dollars (3 200 milliards d’euros), de bouter les énergies fossiles hors de leurs portefeuilles financiers. Ce sevrage de masse a touché jusqu’à la fondation Rockefeller, la branche caritative d’un empire pourtant construit sur le pétrole de la Standard Oil.

L’activisme en héritage

« Le désinvestissement a cette force d’être accessible à tous : chacun peut, en tant que citoyen, exiger de son université, de sa banque, de sa municipalité qu’elle arrête de financer les énergies fossiles », commente l’activiste de 31 ans. Elle-même a fait ses débuts dans la lutte contre le dérèglement climatique en exigeant de son université qu’elle retire ses économies du charbon. « Je venais de rejoindre une jeune association pour le climat, comme nous remportions des victoires, nous avons continué. »

May Boeve a reçu l’activisme en héritage. « A la maison, mes parents se battaient contre la guerre et l’armement. ». Sa cause à elle ce sera l’environnement. Elle s’en préoccupe « depuis l’âge de 4 ans ». A l’école, elle se bat pour les droits des animaux avec l’association Peta. « May vient d’un coin des Etats-Unis, le nord de la Californie, où il y a ce goût très prononcé pour l’engagement, pour les réflexions autour du sens que l’on donne à sa vie », explique Jamie Henn, responsable de la stratégie et de la communication de 350.org et ami de la jeune femme depuis onze ans. En 2008, avec une poignée de camarades de promotion, tous deux fondent 350.org. Aux côtés des étudiants, Bill McKibben, auteur et maître de conférences à l’université, fait partie de l’aventure.

« C’est à peu près à ce moment-là que j’ai compris que la question climatique faisait le lien entre toutes les causes : la lutte contre l’insécurité alimentaire, la prévention des conflits… », explique la militante professionnelle attablée au parc des expositions du Bourget, où se déroulent en ce moment les négociations onusiennes sur le climat, la fameuse COP21.

« A Paris pour préparer l’après »

Au lendemain du défilé lyrique de 150 chefs d’Etat et de gouvernements, l’activiste porte sur ce sommet un regard mitigé. Sceptique d’abord : « Lors de ces discours, il y a eu beaucoup de généralités, de grandes envolées sur les générations futures mais pas grand-chose de concret. » Optimiste tout de même : « On voit qu’il est devenu inacceptable qu’un dirigeant nie le problème ou la nécessité de prendre des mesures et ça, c’est une grande avancée. » Quant à l’influence des lobbies sur la conférence... « il suffit de voir la liste des sponsors de l’événement », lance-t-elle dans un rire jaune. « Aujourd’hui, c’est Exxon Mobil qu’il faut surveiller de près, la presse américaine vient de révéler que ses scientifiques connaissaient les mécanismes de dérèglement climatique depuis les années 1970. Cela signifie qu’on aurait pu avoir ce sommet il y a quarante-ans et ne pas connaître les sécheresses qui ont eu lieu en Californie ou au Kenya », soupire-t-elle sans hausser le ton.

May Boeve ne marche pas à la colère mais « à l’inquiétude et l’espoir ». L’inquiétude car « nous savons que la concentration maximale de CO2 dans l’atmosphère, 350 ppm, est dépassée ». L’espoir, parce que « le mouvement climatique n’a jamais été si puissant ». L’ONG dont elle est directrice, 350.org (baptisée en référence au seuil fatidique), va de succès en succès. Dernier inscrit au palmarès : l’abandon du pipeline Keystone XL qui devait transporter le pétrole extrait des sables bitumeux du Canada vers les Etats-Unis. « Honnêtement, ce combat-là, je ne pensais pas qu’on le gagnerait, je m’attendais à une victoire en demi-teinte qui n’en aurait pas été une », confie-t-elle. Galvanisée par les récentes annonces, l’ONG compte accélérer. « Si je suis à la COP21, c’est pour préparer l’après », confie-t-elle. Le 10 décembre, 350.org a annoncé pour la deuxième semaine de mai des mouvements massifs de désobéissance civile à travers le monde (du Canada à l’Indonésie), ciblant directement les projets en lien avec les énergies fossiles.

Gourde de randonnée

Avant que son ONG ne se lance dans ces combats, May Boeve organisait des Journées mondiales pour le climat dont les temps forts étaient des marches et happenings. Le passage à l’action directe est une « réponse à ce qui ne s’est pas passé à Copenhague (conférence sur le climat en 2009, ndlr)  ». « Dans une démocratie qui fonctionne, face à un problème si important et avec un tel niveau de mobilisation, un gouvernement aurait agi, raconte-t-elle. Mais nous avions sous-estimé la force des lobbies. A Copenhague, on a réalisé que dire aux gouvernants « regardez comme nous sommes nombreux à être inquiets n’est pas suffisant ». Pour autant, la militante ne renie pas ses premiers modes d’actions. Une semaine avant l’ouverture de la COP21, elle marchait en Californie. « Ce sont des moments de fête, de joie », souligne celle qui a fait de son combat une source d’épanouissement personnel.

Même dans les allées de la très officielle zone bleue du Bourget (la zone internationale où vivent négociateurs, ONG et journalistes, notamment), l’espace le plus restreint de la COP21, une gourde de randonnée dépasse de sa sacoche en bandoulière. « Prendre sa propre bouteille, faire du vélo, sont des gestes importants, ils nous font se sentir bien en tant que personne, commente-t-elle. Simplement, il ne faut pas confondre l’action individuelle avec la nécessaire pression collective. »

« Ici, la culture masculine domine »

Depuis sa table du hall 5, la jeune femme envoie, sans s’interrompre, un sourire ou un signe de la main à intervalle régulier. Ici, elle est en terrain ami. « Je rencontre enfin des gens avec qui je suis en contact depuis des années », précise-t-elle pour expliquer sa venue à Paris. « La plus grande force de May, c’est de chercher à comprendre le parcours de chacun, reprend Jamie Henn. Cela lui permet de trouver chez des gens très différents les points communs qui leur permettront d’agir dans la même direction ». A Bill McKibben, le fondateur de 350.org, le rôle de figure de proue. A May la tâche de construire les passerelles. « Lorsqu’en 2013, nous avons décidé d’avoir une directrice exécutive, le choix de May s’est fait tout naturellement », raconte Jamie Henn.

Pourtant, la présence une femme de 31 ans à la tête d’une ONG représentée dans 188 pays n’est pas forcément perçue comme naturel. « En réunion, je suis souvent la seule femme alors forcément ça se remarque, reconnaît-elle sans cesser de sourire. Parfois, se faire remarquer est une force, parfois ça rend juste les choses plus compliquées. » Le tableau change légèrement en élargissant le cadre. « Il y a beaucoup de femmes de haut rang qui travaillent sur le climat, comme Christiana Figueres (secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ndlr), nuance May Boeve. Mais en dehors du milieu, on entend rarement parler d’elles, elles n’ont pas la reconnaissance qu’aurait un homme au même poste. Ici aussi la culture masculine domine et je crois qu’on doit également s’y attaquer ». Inoffensive, vous disiez ?

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