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Le pire du pire du jargon de la COP
lundi, 7 décembre 2015 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Vous voulez comprendre la conférence sur le climat du Bourget, il faut d’abord parler son langage. Et ce n’est pas chose aisée. Sympa, « Terra eco » vous file un petit coup de main.

Pour briller à la buvette « Pont neuf », à deux pas des « Champs Elysées », il faut parler châtié. Mais ici, pas de mots surannés ou d’adverbes à rallonge. C’est le langage technique qui prime. Aussi ne faut-il pas paniquer en entendant à l’entrée des toilettes : « L’AIE l’a dit : 80% du Gigaton Gap pourrait être comblé sans que ça affecte le PIB » ou lorsque l’on lit, l’air de rien, une note qui traîne dans la salle de presse – « Le Président de la CDP21 a noté que le SBSTA et le SBI ont conclu leurs travaux ». Oui, c’est ainsi qu’ils parlent, les négociateurs qui échangent dans les salles du Bourget. Et depuis vingt-et-un ans que les COP existent, le langage ne s’est pas simplifié. En voici quelques exemples obscurément poétiques.


- Le dialogue des experts structurés

Ça vous fait rire ? Vous vous demandez : « Et des experts destructurés, ça existe ? » Eh bien, relâchez vos zygomatiques, car ces gens-là ne font pas dans le rigolo. « Ils travaillent depuis Doha (la COP de 2012, ndlr) pour informer les négociateurs sur la limite acceptable de réchauffement », décrypte Célia Gautier, du Réseau Action Climat. Peut-on pousser jusqu’à 2°C ou faut-il absolument éviter de dépasser le seuil des 1,5°C ? Le SED – pour les vrais jargonneux – a conclu que la limite des 2°C était inappropriée. Le souci, c’est que l’Arabie saoudite mais aussi Oman et la Chine n’ont pas bien apprécié cette prise de position et ont bloqué la sortie du rapport du SED la semaine passée.


- Mécanisme « ratchet up »

Ceux qui aiment les anglicismes, l’appelleront ainsi. Les autres lui préfèreront le terme « mécanisme de révision » ou même le plus poétique « mécanisme de l’ambition ». Parce que oui, figurez-vous, l’ambition ça se planifie, ça se met en branle et ça s’huile comme les bons rouages d’une machine. Et c’est bien ça l’objectif principal de l’accord de Paris : mettre en place un système qui obligera les Etats à revoir – tous les cinq ans, probablement – leurs engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et peut-être même l’argent qu’ils comptent mettre sur la table pour aider les Etats les plus pauvres.


- Les réunions « informelles informelles »

Non, non, notre éditeur n’est pas parti prendre un café, épuisé par tant de jargon. Pas de grossière coquille en vue, le mot est bien répété. Pour comprendre, il faut imaginer une fractale, soit un dessin répété à l’infini : à chaque fois que vous vous approchez, vous découvrez une nouvelle sous-couche. La CCNUCC (la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, fastoche, ça !) fonctionne comme ça. Il y a donc les meetings formels ou « groupe de contact » : des réunions en plénière orchestrées par les deux présidents de l’ADP (Plateforme de Durban pour une action renforcée) où les pièces du puzzle prennent forme et le texte final émerge. Viennent ensuite les meetings informels – ceux des « spin-off groups » – qui, sous la direction de deux cofacilitateurs, négocient telle ou telle portion de l’accord avant de rapporter leurs conclusions au groupe de contact. Et enfin les meetings « informels informels », la couche en-dessous, qui vise à discuter de points particulièrement délicats sur lesquels achoppent les spin-off. Si vous vous perdez en chemin, suivez la taille des mots, plus c’est long, plus c’est à effectifs réduits et moins c’est ouvert aux observateurs et aux médias !