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Industrie, agriculture ou bâtiment ? En France, qui va devoir émettre beaucoup moins ?
jeudi, 26 novembre 2015 / Amélie Mougey

Et si l’on balayait aussi devant notre porte avant la COP21 ? Le Conseil des ministres a récemment publié les grandes lignes de sa « stratégie bas carbone ». Il y donne un rythme… à défaut de fournir des pistes concrètes.

Hôte de la COP21, le sommet international sur le climat qui débute ce dimanche, la France s’est elle-même engagée à émettre moins de gaz à effet de serre. Par rapport aux quantités rejetées en 1990 dans l’atmosphère, le pays table sur une baisse de 40% d’ici à 2030, de 75% d’ici à 2050. Oui, mais comment ? Le 18 novembre, le Conseil des ministres a adopté son plan d’attaque : la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Le texte n’a pas valeur de loi mais fixe un cap. Sa principale force est l’introduction, actée par décrets, de budgets carbone. En clair, des volumes d’émissions à ne pas dépasser chaque année. Concrètement, la France sait désormais ce qu’elle peut émettre chaque année jusqu’en 2028. Pour l’heure, seul un autre pays, le Royaume-Uni, a mis en place un tel dispositif. L’étape est importante, mais ce n’est pas la panacée.

Imposer un rythme

La France peut désormais mettre des chiffres annuels sur ses bonnes résolutions de long terme. Pour être très précis, elle s’est autorisée à émettre en moyenne 442 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an sur la période 2015-2018, 399 millions pour 2019-2023 et 358 millions pour 2024- 2028.« Ces budgets carbone sont importants, ils permettent de traduire les préconisations des scientifiques, de fixer une limite et d’être très clairs sur le rythme », explique Célia Gautier, chargée de mission « politiques européennes » au sein du Réseau action climat (RAC). « Jusque-là, on devait le plus souvent se contenter d’objectifs tous les dix ans, ces nouveaux plafonds sont une avancée », renchérit Anne Bringault, sa collègue du RAC, coordinatrice pour la transition énergétique des ONG et associations.

Beaucoup d’efforts demandés au bâtiment

Mais qui de l’industrie, des transports, de l’agriculture ou du bâtiment devra le plus se retrousser les manches ? La feuille de route traduite par décret le 23 novembre donne une répartition des efforts secteur par secteur. Le bâtiment est le plus grand contributeur. En 2050, si cette stratégie est suivie d’effets, les émissions du secteur résidentiel et tertiaire ne seront que l’ombre de ce qu’elles sont aujourd’hui : elles auront diminué de 87% par rapport à leur niveau de 2013, en passant par un palier à -54% en 2028.

Moins à l’agriculture

La pression sera plus faible sur l’agriculture. Alors que le secteur est responsable d’un cinquième des gaz à effet de serre français, ses émissions ne sont appelées à diminuer que de 12% d’ici à 2028, de moitié en 2050. Un objectif modeste au regard des autres secteurs, mais qui ne surprend pas les associations. « Baisser les émissions de l’agriculture est plus difficile, reconnaît Anne Bringault. D’une part, car la marge de manœuvre est plus étroite que dans le bâtiment et les transports, d’autre part, parce que cela revient à poser la question de l’élevage, qui est un sujet très délicat. »

Les territoires très sollicités

Reste à déterminer l’échelle à laquelle on agit. « Cette transition s’opère dans les territoires », indique explicitement le texte. Un moyen pour l’Etat de se dédouaner ? Pas seulement, si l’on se fie aux ONG. « Il y a beaucoup de leviers qui ne peuvent être actionnés que localement : le transport, le développement des énergies renouvelables, la rénovation des bâtiments », rappelle Anne Bringault, qui estime que « 70% des actions de lutte contre le dérèglement climatique sont locales ».

Les émissions importées presque oubliées

Couper les émissions produites sur place est une chose, réduire l’empreinte carbone de nos modes de vie en est une autre. Entre les deux, il y a les émissions importées : celles liées à la fabrication à l’étranger – en Chine, par exemple – des produits que l’on consomme. Celles-ci sont loin d’être négligeables : si l’on ne regarde que les émissions territoriales, chaque Français est responsable de 7,3 tonnes d’équivalent CO2 par an. Cette ardoise grimpe à 10,6 tonnes par an, soit une hausse de 45% dans le second scénario, selon les chiffres du RAC. Un aspect évoqué par le texte : « Les politiques publiques doivent aussi viser à réduire de manière globale l’empreinte carbone », indique-t-il… sans donner la moindre indication précise sur leur évolution.

Peu de propositions concrètes

Ecoconception, développement des transports publics et du covoiturage, réduction du gaspillage… Les pistes d’actions qu’expose le document restent très générales. « Ce texte est finalement très consensuel. Il y a peu d’endroits où on trouve des mesures vraiment concrètes. Pourra-t-il vraiment orienter les politiques publiques des prochaines années ?, s’interroge Anne Bringault. On est très forts en France pour donner des objectifs, mais ce que l’on demande maintenant, c’est un suivi. »

Un cadre qui ne dit pas tout

« Mettre en place des budgets carbone, ça marche. Mais ça ne veut pas forcément dire qu’on choisit les bonnes technologies, reprend Célia Gautier, du RAC. Ça n’a, par exemple, pas empêché le Royaume-Uni de choisir le gaz et le charbon, qui sont de fausses solutions. » A ses yeux, ces budgets carbone ne fonctionnent que « s’ils s’accompagnent d’une politique nationale d’énergies renouvelables efficace ». Or, ce n’est pas ce que laisse présager la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), un autre texte dont les premières orientations ont été présentées le 18 novembre par la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal.

En parallèle, un scénario énergétique qui fait tiquer les ONG

Tel que présenté par le gouvernement, ce texte a « pour rôle de fixer les objectifs quantitatifs pour le développement de toutes les filières d’énergies renouvelables ». Dans les faits, « c’est incomplet, déplore Anne Bringault. Cette première version ne donne pas de cadrage quant à l’évolution de la consommation et ne dit rien de celle des autres sources d’énergie. » Un diagnostic que partage Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France : « Les derniers travaux sont inquiétants : le mot “nucléaire” n’y figure même pas. » Sans compter que « même en tant que tels, ces objectifs sont insuffisants, estime Anne Bringault. D’après nos calculs, les chiffres donnés ne permettent pas, par exemple, la réduction de la part du nucléaire à 50% du mix électrique en 2025 », un objectif pourtant inscrit dans la loi sur la transition énergétique. Alors que les projections réalisées par Greenpeace et le RAC tablaient sur 52,9 gigawatts de puissance installée en renouvelable à l’horizon 2023 pour que les objectifs de la loi sur la transition énergétique soient respectés, les premières orientations donnent, à la même échéance, une fourchette de 36 à 43 gigawatts.

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