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Vous reprendrez bien un verre de boue ?
mercredi, 27 juin 2007 / Christophe Belperron /

(au Tajikistan)

A Dushanbe, au Tajikistan, boire un simple verre d’eau claire s’apparente parfois à une gageure. Pourtant, la région ne manque pas de ressources. Reportage.

Dushanbe, tranquille capitale de province, très verte, entourée de belles montagnes ornées d’un blanc chapeau neigeux une bonne partie de l’année, est en plein boom. La guerre civile de 1994 à 1997 l’avait laissée martyrisée, appauvrie, grise. Mais depuis que la sécurité est revenue au Tadjikistan, la ville s’épanouit. Investissements et loisirs s’y développent rapidement, parfois anarchiquement, rarement légalement, lot commun du capitalisme post-soviétique.

Pourtant Dushanbe souffre d’un mal assez rare pour une capitale. De fréquentes coupures de courant et de gaz flanqués d’une qualité d’eau plus que critique constituent un paradoxe pour le château d’eau de l’Asie centrale.

Du thé au lait au robinet

L’eau : ressource vitale mais porteuse de bien des causes d’épidémies ! Allez savoir pourquoi, Dushanbe ne possède toujours pas de système d’adduction en eau digne de ce nom, malgré les millions investis par différentes banques internationales pour améliorer le système obsolète hérité de l’URSS. Si le sud de la ville pompe son précieux liquide au fond de puits artésiens, le Nord est quant à lui, alimenté depuis la rivière coulant de la vallée de Varzob.

L’eau semble y être directement extraite sans filtres ni traitement, car lorsque les orages grondent au nord de la ville, nous devons vite faire des réserves d’eau dans de grands bacs, avant l’arrivée de la boue, sinon on ne sait plus si on se lave les mains avec du thé au lait ou de la vraie eau (cf photo : réalisée sans trucage).

Au bonheur des plombiers

Quand une eau marron, du clair (petite pluie) à l’ocre rouge foncé (gros orage) s’écoule du robinet alors que vous vous apprêtez à vous laver les dents, cela laisse un goût amer et vaguement terreux ! Parfois un brin de paille ou un petit caillou vient se coincer dans la robinetterie, ce qui rend très heureux (et riches) les plombiers de Dushanbe. Tous les 6 mois environ (cela dépend de la météo) les habitants du nord de la ville doivent démonter bac de chasse d’eau, cumul d’eau chaude, siphon... bref, partout où il y a accumulation d’eau, afin d’enlever les kilogrammes de fine boue accumulée au fil des jours.

L’électricité. Elle dépend du barrage de Nurek, le plus haut du monde s’enorgueillissent les Tajiks, mais pas vraiment le plus fiable. Il récupère l’eau de la chaîne du Pamir et est l’enjeu de crispations régionales. L’eau du Tajikistan alimente aussi les champs de coton de l’Ouzbekistan, ressource vitale pour l’exportation. Le Tajikistan voudrait exploiter ces ressources en eau pour couvrir les besoins électriques du pays en construisant d’autres barrages, mais cela compromettrait la production du coton en Ouzbékistan et ce pays use de son pouvoir régional pour empêcher de tels projets de barrages.

Coupures à répétition

Parmi les moyens de pression figure la fourniture de gaz Ouzbek au Tadjikistan. En réduisant les exportations de gaz dont dépend la totalité des habitations urbaines pour le chauffage, l’Ouzbékistan joue sur le grand échiquier des ressources économiques. Ainsi, dans l’état actuel, le pays devra choisir entre gaz ou électricité. Bref, une situation complexe qui se traduit par des coupures régulières de gaz et d’électricité, surtout en hiver, quand les populations en ont le plus besoin.

Etrangement, le Président Tadjik se fait construire un palace monumental par une entreprise italienne qui importe le marbre d’Europe. Il y a fort à parier que ce palace sera équipé d’un système autonome en gaz, électricité et eau propre qui jamais ne se tarira. Tout va bien dans le meilleur des mondes.