https://www.terraeco.net/spip.php?article62099
Le Giec se plante, le Giec ment, le Giec ne débat pas… 10 idées reçues à la loupe
lundi, 12 octobre 2015 / Cécile Cazenave

Avant la COP21, les sceptiques reprennent du poil de la bête et les oreilles du nouveau président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat doivent déjà siffler. Voici ce qu’il faut arrêter de croire sur l’institution.

1/ Le Giec prétend prédire l’avenir

Non, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ne se réunit pas dans une salle obscure pour caresser une boule de cristal. Bien que, du café, il en a fallu des litres aux scientifiques qui y participent ! Pas pour lire dans le marc, mais pour arriver au bout d’un marathon de lecture qui représente le gros du travail. Car, oui, le Giec lit. Sa tâche principale consiste même à éplucher la littérature scientifique mondiale. Sur la base de milliers d’articles, déjà eux-mêmes publiés dans des revues à comité de lecture, c’est-à-dire avec une évaluation par les pairs, sont établis des scénarios climatiques. Il s’agit donc d’émettre des hypothèses sur l’évolution de la démographie mondiale et des modes de vie à travers la planète. Le cinquième rapport du Giec repose sur quatre trajectoires possibles d’émissions et de concentrations de gaz à effet de serre, appelées « RCP » (« Representative Concentration Pathways » ou « Profils représentatifs d’évolution de concentration »). A partir de ces trajectoires, les climatologues en déduisent des projections climatiques globales ou régionales.

2/ Les rapports du Giec sont basés sur des données obsolètes puisque datant de plusieurs années avant la sortie du rapport

Il faut en effet entre six et sept ans entre le moment où les scientifiques se mettent en ordre de marche et la sortie d’un nouveau rapport. Et il est vrai que la science climatique, une science jeune, progresse à grands pas. Depuis la création du Giec, en 1988, cinq rapports d’évaluation ont été publiés, en 1990, 1995, 2001, 2007 et 2013-2014. En vingt-cinq ans, les impacts du réchauffement se sont eux-mêmes modifiés. Entre chaque rapport, les scientifiques progressent dans leurs connaissances et affinent leurs analyses. Par exemple, ce n’est qu’au début des années 2000 qu’ils ont pu observer, grâce aux satellites, la fonte des calottes polaires et commencer à prendre en compte leur contribution à la hausse du niveau de la mer. « Nous savons aujourd’hui que les prévisions de l’exercice précédent (en 2007, ndlr) étaient sous-estimées. Car, en 2003 (date à laquelle a commencé la quatrième évaluation, ndlr), les phénomènes de perte de glace des calottes polaires commençaient à peine à être observés. Nous n’avions pas le recul nécessaire et nous ne savions pas si ça allait durer. Quand le Giec fait une évaluation des connaissances, il prend ce qu’il y a dans les publications scientifiques. Et, à l’époque, aucune publication ne tenait compte de ces phénomènes-là, que nous n’avions pas encore compris. Il faut bien voir que, il y a quinze ans, la contribution des calottes polaires à la hausse du niveau de la mer ne représentait rien », expliquait la climatologue Anny Cazenave à Terra eco quelques semaines avant la publication du cinquième rapport, en 2013. Dans celui-ci, la hausse du niveau de la mer fait ainsi, pour la première fois, l’objet d’un chapitre entier. Reste que le débat est ouvert au sein même de l’institution. Faut-il produire un rapport très lourd une fois tous les dix ans, ou des mises à jour plus fréquentes avec des procédures simplifiées de validation ? Des questions qui se poseront sans doute au nouveau président, le Sud-Coréen Hoesung Lee, qui devra mettre en route prochainement le sixième rapport.

3/ Les scientifiques du Giec sont payés pour abonder vers la thèse d’un réchauffement d’origine humaine

Ça ne risque pas, puisque les coauteurs des rapports du Giec ne sont pas payés du tout. L’institution elle-même compte une trentaine de permanents, à Genève, et fonctionne avec un budget de cinq millions d’euros. Les auteurs, eux, au nombre de 831, choisis parmi 3 000 candidats pour le cinquième rapport, sont bénévoles. Il doivent, en plus de leurs propres recherches, consacrer l’équivalent de quatre à cinq mois équivalent temps plein pour accomplir leur mission. « Il s’agit donc d’une structure très légère, qui s’appuie sur la bonne volonté de l’ensemble de la communauté scientifique », expliquait Hervé Le Treut dans un billet pour Terra eco. Astrophysiciens, climatologues, océanographes, biogéochimistes, hydrologues, météorologues, glaciologues, paléontologues, biologistes, agronomes, géologues, physiciens, économistes des laboratoires de toute la planète sont sollicités pour participer. Et il y a du sang frais. Entre les quatrième et le cinquième rapports, 69% des auteurs étaient nouveaux. Pour le cinquième, la France a fourni des cerveaux : 34 experts, contre 22 en 2007, dont 16 personnes qui ont bûché dans le groupe 1 (fonctionnement physique du climat), 10 dans le groupe 2 (impacts et adaptation) et 8 dans le groupe 3 qui s’est concentré sur les moyens d’atténuer ce réchauffement.

4/ Le Giec a déjà fait de grossières erreurs, impossible de leur faire confiance

En janvier 2010, quelques semaines après le sommet de Copenhague, une tempête s’abat sur l’institution. Trois journaux britanniques dénichent un lièvre dans le quatrième rapport, publié en 2007 : une petite phrase qui annonce que les glaciers himalayens auront fondu en 2035. Beaucoup trop tôt pour les experts. Le Giec doit faire amende honorable et trouver comment une telle bourde a pu se glisser dans le document final. Le chiffre provient d’une revue de vulgarisation scientifique et a été repris par le WWF. Mais le fin mot de cet embrouillamini se trouve dans l’organisation des groupes de travail. Alors que le groupe 1 est composé de scientifiques experts en leur domaine, le groupe 2 – sur les impacts –, est rédigé par des scientifiques de différentes disciplines – économistes, hydrologues ou experts locaux. « Le rapport du Giec doit faire consensus entre plus d’une centaine de pays signataires, du Togo à la France, du Bénin aux Etats-Unis. Alors ceux-là veulent y participer. Il paraît normal que les données concernant l’Afrique soient rédigées par des Africains ou celles sur l’Asie par des Asiatiques. Mais les membres du groupe 2 ne sont pas toujours des scientifiques et leur chapitre est peu relu par la communauté scientifique mondiale »,expliquait à l’époque Georg Kaser, de l’institut de glaciologie d’Innsbrück, en Autriche, qui a participé au quatrième rapport. Le glaciologue avait lui-même repéré l’erreur dès 2006. « Mais c’était trop tard. On ne réédite pas des centaines de pages en des milliers d’exemplaires pour un mauvais chiffre. Ça ferait perdre trop de temps et d’argent », expliquait-t-il. Reste qu’avec le recul, le Giec fait peu de boulettes au regard de la somme de données analysées. Les cinq rapports produits depuis 1988 vont dans le même sens. « Je ne pense pas que le Giec a manqué de prudence dans le passé, ses conclusions n’ont d’ailleurs pas été affectées, mais une erreur dans un document de plus de 1 000 pages est toujours possible », soutenait Olivier Boucher, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD). Pour parer aux inévitables critiques et rassurer son auditoire, le Giec a blindé son mode de validation lors de réalisation du cinquième rapport. « Les procédures de relecture ont été renforcées, avec, pour le premier groupe, 209 auteurs et 50 éditeurs chargés de vérifier que les points soulevés par les plus de 54 000 commentaires produits par plus de 1 000 experts-relecteurs ont été pris en compte lors des révisions du rapport. Cette procédure de relecture est unique et fait toute la qualité du travail de synthèse critique de l’état des connaissances », soulignait ainsi Valérie Masson-Delmotte, paléo-climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) et coauteure du cinquième rapport.

5/ Il n’y a pas de débat au sein du Giec

On a pourtant tout à fait le droit de le dézinguer ! « Le rapport est relu par tous les experts de la planète et les auteurs sont dans l’obligation de répondre aux critiques point par point », soulignait Hervé Le Treut pour Terra eco. La procédure, destinée à mettre le rapport du Giec à l’abri des erreurs (voir point précédent), permet également d’assurer le pluralisme des points de vue. « On a eu des consignes pour que le texte reflète les questions débattues dans la communauté scientifique », a rappelé Serge Planton, responsable de la recherche climatique à Météo France, lors d’une conférence de presse organisée à Paris par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en septembre 2013, à la sortie du premier volet du cinquième rapport. Terra eco vous faisait, par exemple, part à cette époque de son étonnement devant un chapitre consacré à la géoingénierie, très décriée dans les milieux écolos. Le Giec ne fâche d’ailleurs pas que les climatosceptiques. Les antinucléaires de tous poils ont bondi, en avril 2014, quand le troisième volet du cinquième rapport, sur les pistes d’atténuation, a fait entrer le nucléaire comme option pour le développement des énergies bas carbone. Pour Hervé le Treut, la recherche de consensus, qui prévaut au sein de l’institution, constitue bien la meilleure protection des avis minoritaires.

6/ Les politiques peuvent intervenir dans les rapports du Giec

On peut dire que le Giec est, d’une certaine manière, à leur service. Créé pour évaluer de manière objective l’état de la science sur le climat, il a en effet pour mission d’éclairer les politiques sur ces points fort complexes afin de leur fournir des clés de compréhension. La communauté scientifique agit seule pendant tout le processus d’expertise. Les choses se corsent quand celle-ci se retrouve enfermée pendant plusieurs jours avec les délégations de plus de cent pays pour faire approuver le « Résumé à l’attention des décideurs » (RID). Il s’agit d’un condensé des travaux des groupes de travail d’une trentaine de pages qui servira de base aux discussions de la COP21, par exemple. Terra eco avait plongé, en octobre de l’année dernière, dans les coulisses de cette confrontation hors normes. Chaque ligne du texte est, en effet, soumise au feu des délégués. Pour chacune, après parfois des heures, voire parfois des jours de débats, il faut arriver à un consensus et voter à l’unanimité. Il arrive que des paragraphes entiers, qui menacent de desservir une délégation, soient rayés de la carte. Ces âpres discussions peuvent être vécues comme des intrusions dans l’expertise scientifique. Mais pour la plupart des rédacteurs du Giec, c’est bien là que tout se joue pour l’avenir de la planète. « Ce qui reste dans le RID a été approuvé par les pays. C’est incroyablement important. Ce n’est pas seulement la science qui le dit, ce sont eux qui sont d’accord pour le dire. Pour dire que les croissances économique et démographique continuent d’être les plus importants moteurs du changement climatique. Qu’il faut donc que nous changions quelque chose dans la structure de notre croissance économique, sinon les émissions vont augmenter. Ça veut dire que l’on n’a pas besoin que les négociations recommencent depuis le début. Sur ces points, ils sont d’accord. Nous pouvons maintenant nous concentrer sur les instruments et les tâches à accomplir », confiait ainsi Reyer Gerlagh, professeur néerlandais spécialisé en économie du climat.

7/ L’objectif de deux degrés n’a rien de scientifique

La science du climat n’aime pas les chiffres ronds ! Et le Giec préfère généralement associer ses estimations et ses projections à des fourchettes, associées à des incertitudes. Ainsi, dans son cinquième rapport, le Giec estime que, pour limiter la hausse des températures moyennes de la planète d’ici à 2100 dans une fourchette comprise entre 2°C et 2,4°C par rapport aux niveaux préindustriels, il faut stabiliser les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre dans une fourchette comprise entre 445 et 490 parties par million équivalent CO2. Mais dès 1995 et son deuxième rapport, le Giec avait désigné +2°C par rapport aux moyennes de la période préindustrielle comme une limite au-delà de laquelle les perturbations des écosystèmes sensibles devraient s’accroître rapidement. A l’époque, c’est en effet le Conseil de l’environnement de l’Union européenne, un organe politique, qui s’empare de ce chiffre. Cet objectif est repris par le Conseil européen en 2007, puis par le G8 en 2009. Il est enfin entériné à la COP15, à Copenhague, et à la COP16, à Cancún, en 2010. Le seuil de 2°C est devenu symbolique, compréhensible par tous. Les gouvernements de la planète peuvent s’y appuyer pour les négociations à venir. S’il s’appuie sur une base scientifique, il est également remis en question dans la communauté des climatologues. Une partie d’entre eux estiment en effet qu’il est trop élevé. Les Etats insulaires du Pacifiques militent eux aussi pour négocier sur la base d’un seuil fixé à 1,5°C.

8/ Le Giec dicte aux Etats ce qu’ils doivent faire

Le troisième volet des rapports du Giec, consacré à l’atténuation du changement climatique, c’est-à-dire à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, fait toujours partie des évaluations scientifiques. Ce volet englobe des aspects climatiques, mais aussi technologiques et socio-économiques. Encore une fois, le Giec synthétise ici les grands scénarios et leurs impacts économiques à long terme : où porter l’effort pour avoir une chance de stabiliser les température à +2°C ? Combien ces efforts coûteront-ils ? Dans son cinquième rapport, le Giec a identifié des secteurs dans lesquels le potentiel de réduction d’émissions est fort : les transports, l’industrie, l’énergie. Les recommandations formulées par l’institution n’ont pourtant aucune valeur contraignante : pas question ici de dire aux Etats quelles politiques économiques ils doivent mener pour sauver la planète. A quelques semaines de la COP21, ces efforts prennent pour l’instant la forme de déclarations volontaires, appelées contributions nationales (Intended Nationally Determined Contributions ou INDC). Au 8 octobre, 146 pays représentant 87% des émissions mondiales les avaient rendues publiques. D’après l’organisation Climate Action Tracker, les engagements annoncés jusqu’à présent conduiraient plutôt à un réchauffement de +2,7°C par rapport à l’ère préindustrielle.

9/ Le Giec sert les intérêts des pays développés

« Afin de parvenir à des rapports d’évaluation exhaustifs, c’est-à-dire qui ne favorisent pas un pays ou un groupe de pays mais tiennent compte des problématiques de chaque région, les équipes sont constituées d’une variété d’auteurs provenant de diverses régions et de pays développés comme de pays en développement », explique le Giec dans une fiche dédiée à la question de la sélection des auteurs. Dans les faits, l’équation est plus compliquée. La cartographie de l’origine des différents contributeurs, réalisée par le Médialab de Sciences-Po, montre que les inégalités de représentation persistent. Pour le cinquième rapport, la majorité des auteurs venaient des pays du Nord : 34% d’Europe et 28% d’Amérique du Nord. Mais le nombre de chercheurs des pays du Sud qui participent a néanmoins considérablement augmenté en vingt-cinq ans. Entre 1990, date du premier rapport, et 2014, date du cinquième, les chercheurs du continent africain sont passés de 3% à 8% des auteurs, les Asiatiques, de 9% à 16%. La question reste vive au sein même du Giec. Lors de sa 41e session, à Nairobi, au Kenya, en février dernier, l’institution a beaucoup débattu sur les manières de renforcer la présence de scientifiques issus du Sud, comme en témoigne ce compte-rendu du Bulletin des négociations de la terre. Parmi les pistes envisagées : mieux tenir compte des articles scientifiques écrits dans d’autres langues que l’anglais et faire participer le bureau de traduction des Nations unies pour que ces informations soient accessibles.

10/ La preuve que le Giec est protégé en haut lieu, c’est que les scientifiques responsables du « Climategate » n’ont jamais été poursuivis

C’est l’argument fatal des climatosceptiques : il y a déjà eu un « Climategate » qui jette l’opprobre sur les climatologues au service du Giec. En novembre 2009, quelques jours avant l’ouverture du sommet de Copenhague, des milliers d’e-mails échangés entre des chercheurs britanniques et américains étaient hackés à partir du site des scientifiques de l’université de East Anglia, au Royaume-Uni, et diffusés massivement. Une très petite partie d’entre eux étaient immédiatement interprétés comme une tentative de manipuler des données pour étayer la thèse d’un réchauffement climatique dû à l’homme. Très largement repris par les médias anglo-saxons, beaucoup moins par les médias français, l’affaire fit grand bruit et continue d’alimenter le soupçon. Plusieurs enquêtes indépendantes ont pourtant catégoriquement blanchi les chercheurs d’East Anglia. Le mal était-il fait ? Pas tant que ça ! Les chercheurs qui se sont ensuite penchés sur la postérité et l’influence de ce scandale ont montré que le scepticisme suscité dans le grand public s’était rapidement éteint. Ainsi, les recherches sur Internet incluant le terme « global warming hoax » ont certes connu un pic au moment du traitement médiatique du « Climategate », mais se sont effondrées en moins de vingt-deux jours. Pas de quoi freiner la prise de conscience de fond insufflée par le Giec.

A lire aussi sur Terraeco.net :
- Kit de survie pour un dîner avec des climato-sceptiques