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Comment améliorer les mesures de pollution ? Grâce aux smartphones des citoyens !
jeudi, 1er octobre 2015 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Des chercheurs néerlandais ont équipé des milliers d’Européens d’un capteur de pollution. De quoi améliorer la cartographie des particules, mais aussi alerter les populations sur leurs dangers.

Tout a commencé par un jeu. Ce vendredi-là, Frans Snik et ses collègues s’amusent à tester des instruments d’optique sur l’objectif d’un smartphone. Et là, surprise : « Ça fonctionnait très bien ». Aussi une idée germe-t-elle : « Si l’on veut pouvoir mesurer la pollution de l’air tout le temps et partout, pourquoi ne pas utiliser ces outils que l’on a tous, aujourd’hui, dans nos poches ? » 

Jusque là Frans Snik, chercheur à l’université de Leyde, aux Pays-Bas, travaillait en collaboration avec d’autres instituts néerlandais sur le développement d’instruments d’astronomie capables de scruter l’atmosphère d’autres planètes, mais aussi de mesurer la pollution dans la nôtre. Au terme de ce vendredi après-midi, le voici qui met sur pied une expérience de science participative : Ispex.

Des données qui complètent les mesures traditionnelles

Lui et son équipe construisent un prototype d’appareil qui, adapté à un smartphone (un Iphone 4 ou 5 pour commencer), permet de mesurer la concentration de particules de poussière dans l’atmosphère. Et recueillent des données fort intéressantes. Les voilà qui décrochent, au détour de l’expérience, un prix néerlandais et empochent 100 000 euros. Assez pour mettre au point 10 000 petits appareils de mesure – des spectropolarimètres, en langage technique – et l’application qui va avec. Ils en équipent des milliers de Néerlandais qui, en juillet 2013, pointent leur appareil vers le ciel. L’occasion pour les chercheurs de recueillir une photographie de l’atmosphère de leur pays deux jours durant. « Nous voulions voir à quel point cela fonctionnait, explique aujourd’hui Frans Snik. Mais l’objectif n’était pas seulement technique mais aussi conceptuel : nous voulions savoir si nous étions capables de réunir des milliers de gens pour participer à notre expérience. » Pari tenu, grâce à l’appui des médias et d’une association de patients atteints de maladies respiratoires.

(Crédit photo : DR)


Une fois les chiffres recueillis, au tour de l’équipe de les mettre en ordre et de les comparer aux mesures plus traditionnelles effectuées par les satellites et les stations au sol. Et les données coïncident ! Mieux, elles complètent le travail des outils plus anciens. « Les satellites passent sur une même zone une à deux fois par jour. Les stations de mesure au sol, elles, ne couvrent pas tout le territoire. Avec nos données, on peut combler les trous. Par ailleurs, les mesures officielles se contentent de répartir les aérosols selon leur taille : d’un côté les PM10 (au diamètre inférieur à 10 microns, ndlr), de l’autre les PM2,5 (diamètre inférieur à 2,5 microns, ndlr). Mais elles ne distinguent pas les particules d’un micron par exemple. Or, plus les particules sont petites, plus elles pénètrent profondément dans les poumons. » Les mesures d’Ispex permettent, elles, d’affiner les mesures. Enfin, la nature même des particules est laissée de côté par les instruments classiques, qui ne différencient pas les particules translucides – notamment salines – qui renvoient les rayons du soleil vers l’atmosphère et participent au refroidissement de la terre et les particules sombres – comme la suie – qui absorbent la chaleur et sont suspectées de contribuer au changement climatique. Inversement, l’outil développé par les chercheurs de Leyde donne des indications sur les propriétés chimiques des particules.

Mais pour tirer des enseignements, encore faut-il cumuler les données. « Une simple mesure est porteuse d’erreurs, mais un grand nombre de relevés peut permettre de rectifier les anomalies. Quand nous aurons 10 000 personnes qui prendront des mesures tous les jours, alors on aura sans doute des données suffisantes pour tirer des conclusions sur l’impact des particules sur la santé ou le climat », souligne le chercheur.

Sonner l’alarme

Aussi était-il était temps pour Frans Snik et ses acolytes de passer à la vitesse supérieure. Pour célébrer, à leur manière, l’année internationale de la lumière (et des techniques utilisant la lumière) des Nations Unies, en 2015, les chercheurs jettent leur dévolu sur le Vieux Continent. Grâce à un financement européen, ils équipent les citoyens d’une dizaine de villes : Athènes, Bari, Barcelone, Belgrade, Berlin, Copenhague, Londres, Manchester Milan, Rome et Toulouse. Ceux-là sont chargés entre le 1er septembre et le 15 octobre, lorsque le ciel est bleu – condition indispensable pour la mesure –, de quantifier la pollution dans l’atmosphère. L’expérience varie légèrement entre les villes et les organisations locales qui participent : « A Athènes notamment, des équipements ont été installés près du Parthénon pour que les touristes puissent participer à l’expérience », souligne Frans Snik.

Au-delà de la science, là encore, c’est la mobilisation du public qui compte pour les chercheurs. Indispensable, selon Frans Snik, pour alerter sur les dangers de cette pollution. « Selon l’Organisation mondiale de la santé ou d’autres institutions, des millions de personnes meurent chaque année prématurément à cause de la pollution de l’air. En Belgique, aux Pays-Bas, dans le Nord de la France, on perd un an d’espérance de vie à cause de cette pollution ! Alors nous voulons que les gens fassent aussi partie de la solution. En quantifiant cette pollution, ils peuvent faire progresser la science. »

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