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La saga du Roundup
mercredi, 23 septembre 2015 / Amélie Mougey

Cancérogène probable, perturbateur endocrinien potentiel, il est pourtant l’herbicide le plus vendu au monde. Depuis 1974, Monsanto, qui le fabrique, se démène pour que rien ne vienne entacher ce succès.

Voilà un demi-siècle qu’il règne en maître sur le rayon des tueurs de liserons. Best-seller planétaire à la longévité exceptionnelle, le Roundup traverse une période mouvementée. En mars, le glyphosate, sa substance active, était classé « cancérogène probable » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Trois mois plus tard, la France – où 10 000 tonnes sont écoulées chaque année –, via sa ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, décidait d’interdire sa vente en libre-service aux particuliers. Au niveau européen, l’autorisation du glyphosate expire cette année. Les ONG Foodwatch et la Ligue contre le cancer font campagne pour qu’elle ne soit pas renouvelée. Après des décennies à défendre leur produit fétiche, les industriels sont parés à riposter. « Unique », « révolutionnaire », d’une « efficacité inégalée ». Sur le site de Monsanto, les adjectifs dithyrambiques décrivant le Roundup sont dignes d’une pub pour lessive des années 1990.

« Bon pour l’environnement »

La commercialisation des bidons verts pour le grand public remonte à 1985. Dix ans plus tôt, des agriculteurs en raffolaient déjà. « Le Roundup a un spectre d’action large, il est très simple d’utilisation et peu de mauvaises herbes lui résistent », explique Emmanuel Aze, référent production végétale et pesticides à la Confédération paysanne. Etre dispensé de labourer tout en se laissant promettre une hausse des récoltes de 30%, qui s’en priverait ? D’autant que la sortie de l’herbicide tombe au bon moment. Découvert en 1950 aux Etats-Unis, mis sur le marché en 1974, le glyphosate arrive en Europe dans la foulée. A un moment où l’Union poursuit sa « politique agricole volontariste visant à assurer une autonomie alimentaire et à libérer de la main-d’œuvre pour l’industrie », rappelle Jean-Marc Meynard, agronome à l’Institut national de la recherche agronomique. Béquille indéfectible du modèle productiviste, le glyphosate a depuis conquis la moitié des champs de tournesol européens et un tiers des champs de blé français.

Cet essor, la tentaculaire firme de Creve Cœur, aux Etats-Unis, en récolte les fruits. Elle doit au Roundup 40% de son chiffre d’affaires. Tout aurait pu chanceler en 1991 (1), lorsque le brevet du glyphosate tombe dans le domaine public. Mais, quand BASF ou Syngenta s’en emparent, Monsanto a déjà un coup d’avance. « La seule faiblesse du Roundup était de tuer les graminées alors que de nombreuses cultures sont elles-mêmes des graminées », reprend Emmanuel Aze. En 1996, des généticiens parviennent à rendre ces cultures capables de lui résister. Dans les pays où les OGM sont autorisés, la majorité des champs de maïs et de soja deviennent manipulés génétiquement pour résister au produit. Commercialement, le procédé porte en lui les clés de son succès. Une étude menée aux Etats-Unis montre que « les sojas génétiquement modifiés nécessitaient 26% d’herbicides de plus que les sojas non-OGM ». Les semences, elles, doivent être rachetées chaque année.

Fin stratège, Monsanto est également un audacieux communicant. En 1996, sur les écrans français, un spot publicitaire vante l’innocuité d’un produit « biodégradable » et « bon pour l’environnement », martelant que Roundup « ne pollue ni la terre ni l’os de Rex ». Cette même année, la campagne était condamnée aux Etats-Unis pour « mentions trompeuses ». On en retrouve ainsi des traces dans 35% des cours d’eau français. En Europe, l’ONG Les Amis de la Terre note sa présence dans 43% des échantillons d’urines. Pour apaiser les craintes, les lobbyistes répondent aux scientifiques. Ainsi, la plateforme Glyphosateeu.fr, chargée de défendre la molécule, taxe le classement de l’OMS de « science poubelle ». Quant à la réévaluation européenne, elle n’est pas exempte de soupçons puisque certains experts « sont salariés par des géants de l’agrochimie ou des biotechnologies », constatait Ingrid Kragl, porte-parole de Foodwatch, sur le site de Terra eco le 31 août. Deux jours plus tard, un commentaire signé Monsanto France fleurissait au pied de l’article pour défendre un processus « à la fois rigoureux et transparent ». Parés à riposter, on vous disait. —

(1) En dehors des Etats-Unis. Pour eux le brevet ne tombe qu’en 2000.