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Sécurité alimentaire : "Pas de solution sans le droit"
lundi, 4 mai 2009 / Louise Allavoine

François Collart-Dutilleul, professeur de droit à l’université de Nantes, entame un projet de recherche, financé par l’Europe, sur le droit agricole et alimentaire à l’échelle européenne et mondiale. Mission : établir un diagnostic, sous l’angle juridique, sur le problème de la faim dans le monde et repérer les blocages qui contribuent aux crises alimentaires.

- Quelles sont les problématiques de votre projet de recherche ?

Les questions qui nous sont posées concernent l’orientation et l’organisation du droit agroalimentaire en fonction de nos objectifs de sécurité alimentaire, de développement durable et de commerce international. En substance, le droit européen est-il adapté à ces enjeux et serait-il possible d’instaurer en la matière un minimum de droit international afin de mettre un peu d’équité dans le système international, qui aujourd’hui en fait largement défaut.

- Comment le droit peut-il participer à régler la question de l’insécurité alimentaire ?

Au sommet du G8, les chefs d’Etat ont fait le constat que la question de la faim ne s’était pas améliorée depuis leur dernière réunion. Conclusion : augmentons les stocks mondiaux. Mais on passe directement des symptômes au traitement. La phase la plus importante a été oublié : celle du diagnostic. Et le droit est avant tout un outil de diagnostic. A partir de cet outil, on peut prendre deux directions : l’accès à la terre et l’usage qu’on en fait. Par exemple, quand à Madagascar, la Corée du Sud acquiert 1,3 million d’hectares, c’est parce que le droit local le permet alors que ce n’était pas le cas avant 2005 ou 2006. On est passé, là-bas, d’un droit coutumier de partage des terres à un système de droit privé. Ceux qui avaient un peu de moyens ont acquis des titres de propriétés et en ont fait profité les Coréens qui les ont rachetés. Résultat : sans accès à la terre, une importante partie des habitants de l’île sont exposés au risque de famine. C’est une conséquence pour laquelle le droit n’est pas seul en cause, mais on ne peut l’ignorer si l’on veut aborder ce problème. Car il y a, ici, un bug juridique. Il est important de comprendre que les problèmes alimentaires ne se limitent pas aux questions du climat et d’économie. Le droit doit sortir de l’ombre que lui font l’éthique et la régulation, qui sont des systèmes élaborés par ceux-là même qui doivent se les voir appliquer, sans séparation des pouvoirs pour emprunter le champ lexical de la démocratie de Montesquieu.

- Quels sont vos objectifs ?

Il y en a trois principaux. D’abord, faire un diagnostic de l’existant. Ensuite, élaborer le modèle d’un cadre juridique. Pour expliquer ce que l’on chercher à faire ici, je prends souvent l’exemple du solfège. Celui-ci permet aussi bien d’écrire une chanson populaire du Gabon qu’une cantate de Bach. Ce sont des règles minimales qui permettent à chaque culture de garder ses spécificités tout en ayant un cadre commun. On essaiera de voir si on peut réaliser quelque chose comme ça avec le droit. Enfin, on ne le sait que trop peu, mais il y a eu ces dernières années, en Europe, une double révolution juridique : rurale et alimentaire. Notre dernier objectif est de diffuser ce modèle dans le monde, c’est pourquoi notre travail sera rédigé en trois langues.

- Quels moyens sont mis à votre disposition et sur combien de temps va s’étaler le projet ?

Lascaux (NDLR : nom du programme de recherche) est interdisciplinaire, mais principalement composé de juristes. Je travaille avec une équipe de 60 à 70 chercheurs du monde entier avec un financement européen de 2 millions d’euros sur cinq ans. Nous avons le soucis d’associer la société civile au projet. C’est pourquoi notre travail sera ponctué de manifestations publiques dont la première ne se tiendra pas plus tard que le 9 juin prochain. Mon ambition est, qu’en 2014, une fois ce projet abouti, on puisse mettre une couche de droit entre l’étage des alters qui contestent la mondialisation et l’étage des politiques qui font marcher le système, qu’avec le droit, ils aient un langage commun pour discuter.

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