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« Le terrain judiciaire peut être celui d’une saine révolte citoyenne »
jeudi, 25 juin 2015
/ Amélie Mougey
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La responsabilisation des Etats sur l’enjeu climatique passera-t-elle par les tribunaux ? La condamnation des Pays-bas ce 24 juin ouvre la voie. A l’échelle mondiale, Corinne Lepage explique pourquoi utiliser l’arme du droit.
Des magistrats qui ordonnent à un pays de réduire ses émissions de 25% d’ici à 2020, par rapport à 1990. Un tribunal qui reconnaît « le devoir de protection de l’environnement » d’un Etat. 900 citoyens qui, considérant qu’une hausse de température de plus de 2°C constituerait « une violation des droits humains », portent plainte pour dénoncer l’inaction de leur gouvernement et obtiennent gain de cause. Le scénario inédit qui vient de s’achever ce mercredi 24 juin au tribunal de la Haye (Pays-Bas) montre que le terrain judiciaire peut être propice au combat pour la justice climatique. Corinne Lepage, ex-député européenne et avocate spécialisée dans le droit de l’environnement voit dans la victoire de l’ONG néerlandaise Urgenda, à l’initiative de cette action, le catalyseur d’une mobilisation d’ampleur.
Les combats environnementaux doivent-ils se déplacer dans les tribunaux ?
Corinne Lepage : Ce serait très bien. Je suis convaincue que le changement viendra de la base, de la société civile. Et le droit est un formidable levier d’action. A titre personnel, j’ai le sentiment d’avoir plus fait bouger les choses en tant qu’avocate, au cours de grands procès, que lorsque j’étais ministre de l’Environnement (de 1995 à 1997 sous le gouvernement Juppé, ndlr). Prenez l’Erika, le procès a duré 12 ans, le débat a mûri et, au final, le droit des déchets a pris le dessus sur le droit maritime. Les affréteurs ont été mis devant leurs responsabilités. Sur le terrain judiciaire, ce genre de décision est cruciale car elle peut faire jurisprudence. Sur le terrain politique, les volontés butent souvent sur l’action des lobbies et les débats parlementaires peuvent vider un texte de son sens.
Une class action comme celle qui vient d’aboutir à la condamnation des Pays-Bas est-elle transposable en France ?
Chez nous ça ne sera pas tout à fait une class action. Cette procédure, telle que la prévoit la loi Hamon, constitue surtout un moyen d’obtenir des dommages et intérêts lorsqu’un groupe de personnes a subi un préjudice. Cette procédure est déclenchée par les associations. Nous ne sommes donc pas sur le modèle néerlandais. Par contre, rien n’empêche un citoyen ou un groupe de citoyens de poursuivre l’Etat de manière plus classique s’il estime que celui-ci a manqué à son devoir. Un citoyen peut parfaitement demander à l’Etat de s’engager sur des questions de pollution de l’air, de pesticides puis saisir le conseil d’Etat si rien n’est fait.
Qui doit être jugé : l’Etat dans son ensemble, le gouvernement, les dirigeants ?
Chaque pays a son propre système. Dans certains cas, aucune responsabilité de l’Etat n’est inscrite dans la loi. Parfois, celle-ci incombe au gouvernement, chez d’autres encore ce sont les politiques qui peuvent être mis en cause. Je suis plutôt partisane de cette option, celle une responsabilité individuelle des dirigeants. Faire reposer la responsabilité de l’inaction sur l’Etat cela implique que, s’il y a condamnation, c’est le contribuable qui paie. Au final, l’action des citoyens se retourne contre eux.
A quoi doit-on condamner un Etat qui ne s’engage pas pour l’environnement ?
Il y a deux options. Soit la peine encourue est un euro symbolique. Il s’agit alors d’une condamnation de principe. Soit on fait payer des astreintes énormes pour que ces jugement soient dissuasifs, mais cela soulève encore la question de « qui paie ? ».
Peut-on imaginer porter plainte, comme l’ont fait les Néerlandais, contre l’Etat Français pour qu’il adopte des objectifs de réductions des émissions plus ambitieux ?
Si l’on poursuit l’Etat français en lui reprochant ses manquements, ce ne sera probablement pas sur ce sujet. Paradoxalement, le poids du nucléaire en France fait de nous un pays peu émetteur pour qui il est facile de prendre des engagements. Il serait plus facile de mettre l’Etat face à ses responsabilités sur les avancées en matière d’efficacité énergétique ou du développement des énergies renouvelables. Le citoyen pourrait arguer du fait que, sur ces questions, les engagement pris dans le cadre de l’Union Européenne ne seront vraisemblablement pas tenus. Mais, étant donné que ces engagements sont pris à l’horizon 2020, l’Etat a beau ne pas être sur la bonne trajectoire, il risque de rétorquer « attendez d’y être pour le savoir ».
Et au niveau international ?
Difficile d’imaginer une plainte collective de citoyens. Et pour cause, à ce jour il n’existe aucune instance pour la recevoir. C’est pourquoi je plaide pour la création d’un tribunal pénal international (TPI) de l’environnement et de la santé. En attendant, après la victoire du mouvement néerlandais, on peut espérer que des citoyens se mobilisent Etat par Etat pour mettre les pouvoirs publics face à leurs responsabilités. Des procédures sont en cours en Belgique, aux Etats-Unis. Une autre concernant la pollution a déjà abouti au Japon. Le terrain judiciaire peut être celui d’une saine révolte citoyenne.
Comme vous le souligniez avec l’Erika, les procédures judiciaires sont souvent très longues. Trop longues par rapport à l’échéance climatique ?
A ce stade, il faut faire flèche de tout bois et ne laisser aucune option de côté. Compte tenu de l’ampleur du problème, nous n’avons pas le loisir d’hésiter.
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