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Du baume au corps pour retrouver la voie de l’emploi
jeudi, 28 mai 2015 / Sarah Lecoq

Prendre soin de soi pour reprendre confiance… et trouver un job. Après l’hôpital, le social se laisse séduire par la socio-esthétique.

Emmanuelle Dessart tire une grosse valise rouge, mais elle ne part pas en week-end. Une fois par mois, elle anime un atelier de socio-esthétique à l’Espace 19, dans le XIXe arrondissement de Paris. Izza, Alina, Mikiko, Wong et les autres arrivent au compte-gouttes. Chacune s’assoit face à une bassine colorée. Emmanuelle installe lotions, crèmes et masques de beauté sur la table. Les filles commencent à s’inspecter dans le petit miroir posé devant elles. Les hommes ont déserté. Le soin des mains de la séance dernière a eu raison de leur courage…

Le groupe suit une formation censée favoriser le retour à l’emploi. Emmanuelle se présente pour les nouvelles venues : « Je suis esthéticienne, mais avec une formation en plus. J’aide des gens qui, à un moment de leur vie, ne vont pas bien à aller mieux. » Des soins de beauté pour se réinsérer, l’idée peut surprendre. « Apprendre à faire des CV et des lettres de motivation, c’est bien, mais ça ne suffit pas », note Emmanuelle. Alors, entre un cours de français et un atelier d’informatique, elle passe à l’action avec l’idée que pour se sentir bien dans sa tête, il faut être bien dans son corps.

Depuis six ans, cette ancienne maquilleuse professionnelle a troqué les stars de cinéma contre des malades, des détenus ou des personnes en situation de précarité. « Ma grand-mère a eu un cancer quand j’ai commencé mes études, raconte la socio-esthéticienne de 41 ans, qui a créé Mieux avec moi en 2009. Un jour, elle m’a mise à la porte de sa chambre d’hôpital. Elle se sentait dégradée et elle s’est coupée de tout le monde. J’ai trouvé ça injuste. Je suis tombée sur le programme de la formation de socio-esthéticienne et je me suis dit que plus tard, je ferais ça. »

Taper dans l’œil du recruteur

Aujourd’hui, c’est « soins du visage ». « Qu’est-ce qu’on fait en premier ? » « On se lave les mains ! », répondent les élèves studieuses. « Avoir la peau soignée, lumineuse… Ce sont des petites choses qui, mises bout à bout, vont vous rendre inoubliable le jour de l’entretien. » Avant ça, le groupe a eu droit à un atelier de colorimétrie, une technique qui permet de choisir une tenue adaptée pour un entretien d’embauche. Et le mois dernier, le soin des mains a été l’occasion d’apprendre à serrer la main. « Le premier contact », pointe Emmanuelle.

Après les hôpitaux, les structures sociales s’intéressent aux bienfaits de la socio-esthétique. Manucure, soins des pieds, du visage, épilation, conseils de maquillage. Les outils sont les mêmes. Seul le public change, avec un mot clé : l’adaptation. « En prison, je privilégie des produits très parfumés parce que les détenus n’ont accès à rien. Je veux leur faire oublier, pendant une heure, qu’ils sont enfermés », souligne Emmanuelle. Ses grands yeux clairs et son rire communicatif s’occupent du reste.

Autour de la table, des femmes de toutes origines évoquent leurs habitudes. Chacune y va de son petit « truc ». Izza, la Marocaine, utilise des carottes pour estomper ses cernes. « J’essaie dès ce soir ! », s’enthousiasme la socio-esthéticienne, qui donne à son tour ses astuces : « Le gommage le plus économique ? Le marc de café ! »

Chômage et précarité riment souvent avec isolement. Recréer du lien social est l’un des effets miracles de ces ateliers. « Les cours m’ont soulagée, confie Izza, 30 ans. Je n’ai pas de famille à Paris alors avant je couchais ma petite fille et je restais à la maison à regarder la télé, sans parler à personne. Je pleurais tous les jours. Ici, je me suis fait des copines, c’est ma famille ! Maintenant, je me sens plus forte pour trouver un travail, plus motivée. »

La prochaine séance sera consacrée au maquillage et au rasage pour les hommes. Mais, là aussi, pour Emmanuelle, pas question de tout faire : « Je veux leur donner des outils pour qu’à la fin elles se sentent capables de se faire belles seules, précise-t-elle. Je veux qu’elles en tirent de la fierté. Souvent, c’est ce qui manque à ces personnes en difficulté. » L’année dernière, la moitié avait trouvé du travail à la fin de la formation. Arrivée d’Algérie il y a deux ans, Naïma (1), 28 ans, vient de décrocher un poste dans une école maternelle. Mais elle ne compte pas arrêter la formation pour autant. « J’ai encore besoin de l’école pour progresser. » « Ou pour trouver un travail mieux que celui-là ! », la coupe Izza, qui se sent pousser des ailes. —

(1) Le prénom a été modifié.

Impact du projet
- 35 détenus participent aux ateliers à la maison d’arrêt de Poissy (Yvelines)
- Environ 300 personnes ont bénéficié de soins individuels


- Le site du projet