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Label « fait maison » : « Les contraintes devraient s’exercer sur ceux qui servent du surgelé »
mardi, 26 mai 2015 / Alain Tortosa /

Groupe des Restaurants Qui Font à Manger Indépendant de tout lobbies, partenariats avec l’industrie agroalimentaire

Instauré en 2014, ce label a été simplifié ce mois-ci. Pour Alain Tortosa, créateur du groupe des Restaurants qui font à manger, les critères adoptés ne permettent toujours pas aux clients de savoir ce qu’ils mangent.

Alain Tortosa est créateur du groupe des Restaurants qui font à manger.

Manger sain et fait maison, tout le monde est pour… mais les chaînes de restauration qui proposent de la cuisine industrielle ne désemplissent pas ! Sans parler des rayons de produits industriels qui prennent de plus en plus de place dans les supermarchés.

L’année dernière, le gouvernement a décidé de « protéger » les consommateurs en légiférant. Après de nombreuses négociations, un premier décret d’application est paru en juillet 2014, mais devant son insuccès, le gouvernement a décidé de le refondre. Malgré nos efforts, un nouveau texte qui ne nous satisfait pas vient de voir le jour.

Les restaurants qui servent du fait maison doivent désormais prouver la qualité de ce qu’ils placent dans les assiettes alors que les contraintes devraient plutôt s’exercer sur ceux qui servent du surgelé et de la malbouffe. Ce nouveau texte confirme ainsi que le pseudo-restaurateur qui propose de la cuisine industrielle n’a strictement aucune obligation d’information ou d’affichage en direction de ses clients, c’est le monde à l’envers ! Si, comme nous le souhaitons, l’affichage d’une petite usine à coté d’un plat industriel était rendu obligatoire, nous serions face à une vraie révolution.

De l’industriel partout

Le public ou le touriste ne serait sans doute pas traumatisé de découvrir que son plat à 15 euros est d’origine industrielle. En revanche, découvrir, lors d’un séjour dans un hôtel 4 étoiles, que son plat à plus de 50 euros serait industriel n’aurait sans doute pas les mêmes conséquences... Et pourtant, les acteurs de la profession se disent satisfaits !

L’Umih (l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie), le syndicat qui représente notamment la restauration industrielle et les fast food, se réjouit de ce texte. Pourquoi ? Pour la simple raison que leurs adhérents peuvent continuer à proposer de la malbouffe industrielle sans contraintes. Le gouvernement fait un cadeau aux lobbies de l’industrie agroalimentaire en laissant les pseudo-restaurants « empoisonner » le public avec des produits chimiques sans devoir d’informer les consommateurs.

Les maîtres restaurateurs, dont le cahier des charges n’impose qu’une majorité de produits frais (et non 100% comme le label fait maison), se félicitent de la nouvelle loi. Avant la création de notre groupe, ils ne communiquaient absolument pas sur le fait maison mais voici maintenant plusieurs années qu’ils affirment être les seuls représentants du fait maison alors même que la cuisine ne représente que 30% des critères de leur cahier des charges !

Le Synhorcat (Syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs) semble avoir retourné sa veste. Il y a deux ans, il soutenait notre projet de loi qui veut interdire l’usage du mot restaurant à ceux qui ne proposent pas du fait maison. Aujourd’hui, il accepte cette loi qui protège les vendeurs de malbouffe. Etrange, non ? Certains optimistes ou naïfs vous diront qu’ils sont pragmatiques. De notre côté, nous ne manquerons pas de souligner que c’est le président de la commission des maîtres restaurateurs au Synhorcat qui appuie la réforme.

Précisons que tous ont des partenariats avec les groupes agroalimentaires qui proposent de la cuisine industrielle pour les restaurateurs. « La cuisine industrielle aux pseudo-restaurants et la cuisine maison aux maîtres restaurateurs et tant pis pour les clients », tel pourrait être le deal !

50 contrôleurs pour un label confidentiel

Tout ceci ne semble déranger personne, à part nous, le groupe des restaurants qui font à manger. Nous regroupons environ 400 restaurateurs en France, Belgique et Luxembourg. Depuis trois ans, nous nous battons pour imposer la transparence dans la restauration, sans pour autant être des ultras du 100% fait maison. Nous voulons simplement que les clients puissent connaître le lieu où le plat a été élaboré, le recours ou non aux produits chimiques (édulcorants, exhausteurs de goût, colorants, stabilisateurs, conservateurs…) mais aussi l’origine des produits utilisés en cuisine.

La législation actuelle ne prend pas cette direction. Alors concrètement, que va-t-il se passer pour le client avec cette nouvelle loi ? Imaginons qu’il déjeune dans un restaurant qui n’affiche pas le logo maison. S’il est indifférent au sujet, il est probable qu’il ne va pas faire le lien entre « pas de logo » et « pas de fait maison ». Et ce d’autant plus que de très nombreux restaurateurs « fait maison » refusent d’afficher le logo sous prétexte qu’ils n’ont pas à faire cette démarche ! En clair, le consommateur devra mener sa propre enquête s’il veut savoir ce qu’il y a dans son assiette.

Imaginons que le client ne trouve que le logo « fait maison ». Il est alors probable qu’il aura à faire à du 100% fait maison. Mais là aussi la méfiance sera de rigueur car extrêmement peu de restaurants peuvent parvenir au 100% fait maison défini par le gouvernement… et l’Etat ne dispose que de 50 contrôleurs pour 170 000 établissements !

Vers plus de souplesse ?

Enfin, la nouvelle définition du fait maison pose problème du fait de sa « perfection ». Vous faites tout maison mais vous proposez un plat du jour à 10 euros avec une pâte feuilletée pur-beurre artisanale ? Logo en vitrine interdit ! Vous servez avec votre tarte aux pommes 100% maison une petite boule de glace industrielle ? Logo en vitrine interdit ! On peut imaginer que moins de 5% des restaurants français peuvent répondre à cette exigence du label. Tout est donc fait pour que le label fait maison demeure le plus confidentiel possible.

Notre groupe va continuer à réclamer des changements dans cette loi. Il faut inverser les rôles pour que la contrainte ne soit plus du mauvais côté. Selon nous, les restaurants qui servent de la cuisine industrielle doivent afficher un logo « plat industriel ». Le ratio minimum de fait maison devrait aussi être abaissé à 80% ou 90% et les plats non maison clairement indiqués sur la carte. Cela permettrait aux restaurateurs d’utiliser occasionnellement de la glace ou de la pâte feuilletée artisanales dans leurs préparations maison. Cela rendrait surtout au client consommateur le droit de savoir ce qu’il mange.

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