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« La recherche de variétés résistantes est une course contre la montre »
vendredi, 15 mai 2015 / Amélie Mougey

Comment les grandes cultures vont-elles réagir au changement climatique ? Il y a peu, l’institut de recherche Arvalis a inauguré le premier labo en plein champ destiné à identifier les variétés résistantes à la hausse du mercure…

Les céréaliers français sont soucieux. Toute la seconde moitié du siècle dernier, ils s’étaient habitués à voir leurs récoltes augmenter. Leurs parcelles, de maïs ou de blé, produisaient invariablement un quintal de plus par hectare et par an. Mais depuis une décennie, leurs rendements stagnent. Si rien n’est fait, ils pourraient même diminuer. Un phénomène « dû à 60% au réchauffement climatique », selon Joël Cotart, secrétaire général d’Arvalis, institut dédié aux recherches sur le végétal. Pour relancer la course à l’opulence, ce laboratoire, rattaché aux interprofessionnelles des grandes cultures et financé par les contributions des agriculteurs céréaliers, mise sur la sélection de nouvelles variétés. Le 12 mai, l’institut a inauguré un vaste programme de recherches baptisé Phénofield, destiné à identifier les plantes capables de résister à la sécheresse, et donc mieux adaptées au changement climatique. Afsaneh Lellahi, directrice des actions régionales d’Arvalis, détaille les ambitions du projet.

Terra eco : Pour les agriculteur céréaliers, le changement climatique est-il déjà un sujet ?

Afsaneh Lellahi : Plus que jamais. Ses conséquences se font déjà sentir. Les récoltes sont de plus en plus précoces, les coups de chaleur estivaux de plus en plus fréquents. Le changement climatique a d’ores et déjà changé les pratiques des céréaliers. Depuis quelques années, on constate que les variétés cultivées en France remontent du sud au nord. Malgré ces ajustements, les rendements stagnent. Les agriculteurs sont conscients que si rien n’est fait la productivité de leurs parcelles risque de chuter. Pour Arvalis, lancer un programme de recherche tourné vers la résistance au stress hydrique constitue donc un choix stratégique. Cela répond aux demandes des agriculteurs. L’État se montre lui aussi préoccupé. Sur les 8 millions d’euros que coûte le projet Phénofield, la moitié est financée via les investissements d’avenir. Cette prise de conscience n’est pas nouvelle. Quand je suis arrivée dans cet institut de recherche en 2002, on parlait déjà de réchauffement climatique. Depuis, de nombreux programmes de recherche sur les mesures d’adaptation ont été lancés. A l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), par exemple, entre 2007 et 2010, le projet de Climator évaluait la vulnérabilité des cultures selon différents scénarios de changement. Du côté de la recherche, il y a un vrai coup d’accélérateur.

La plateforme de recherche que vous inaugurée est décrite comme unique au monde. A quoi va-t-elle ressembler ?

A un champ de 5 000 m2 recouvert de toits roulants, dotés de stations météos et bardés de capteurs. Dans ce laboratoire en plein champ, on cultive plus de 400 variétés. Cette année, il s’agit de maïs ; l’an prochain, ce sera du blé. Les toits ont été conçus à la fois pour faire barrage à la pluie et, si nécessaire, pour irriguer. De cette manière, nous pouvons récréer jusqu’à 32 types de conditions climatiques différentes. Par le passé, si nous voulions étudier la résistance d’une plante à la sécheresse et que l’année était pluvieuse, nous étions obligés de repousser notre expérience d’un an. Désormais, affranchis des conditions météorologiques, nous avancerons plus vite. La seconde innovation concerne les mesures. Grâce à une batterie de capteurs, étudier les caractéristiques d’une plante n’implique plus forcément de la détruire pour l’amener en laboratoire. En résumé, le projet Phénofield nous permet de soumettre une plante aux conditions que l’on choisit et, dans le même temps, de relever un maximum de données sur la manière dont elle réagit. On rapproche ensuite ces informations avec celles, très précises, dont on dispose déjà sur le génome pour identifier les gènes qui rendent une plante résistante à la sécheresse. On peut ensuite affiner notre sélection de variétés et conseiller aux agriculteurs celles qui sauront au mieux faire face au changement climatique.

La sélection de variétés résistantes constitue-t-elle une mesure d’adaptation suffisante ?

Je dirais plutôt qu’elle vise à limiter les dommages. La recherche de variétés résistantes est une course contre la montre. Chercher le gène résistant à la sécheresse, c’est chercher une aiguille dans une botte de foin. Le projet Phénofield nous permet d’accélérer ces recherches. Mais la sélection de variétés n’est pas le seul levier. Les agriculteurs peuvent aussi mettre en place des stratégies d’esquive, décaler les dates de semis… Ainsi, ils peuvent faire en sorte que la période dite d’échaudage, celle à laquelle les grains se constituent et se remplissent, ne corresponde plus aux périodes de sécheresse. Le changement climatique va bouleverser l’agriculture dans toutes leurs dimensions, les réponses devront donc elles aussi être multiples.

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