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La Banque mondiale rêve d’un monde zéro carbone : voici sa méthode
mercredi, 13 mai 2015 / Amélie Mougey

Ce lundi, l’institution a publié un rapport plaidant pour un monde sans émissions nettes de gaz à effet de serre. Une prise de position inédite sur la question climatique. Explications de texte.

L’économie « zéro carbone » vient de se découvrir un avocat inespéré. Ce lundi 11 mai, la Banque mondiale a publié « Decarbonizing developement » (A retrouver ici en pdf), le premier volet d’une série de publications consacrées au changement climatique. Dans ce rapport, l’institution internationale plaide – c’est une première – pour un monde sans émissions nettes de gaz à effet de serre. « Il faut le faire d’ici à la fin du siècle pour rester dans la limite de 2 degrés (de hausse moyenne des températures ndlr) », souligne Stéphane Hallegatte, économiste et membre du groupe réchauffement climatique de l’institution, reprenant à la lettre les préconisations du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Pour atteindre cet objectif, la Banque mondiale, pourtant peu soupçonnable de penchants altermondialistes, reconnaît même la nécessité de « restructurer l’économie mondiale », selon les mots de sa vice-présidente, Rachel Kyte, rapportés dans un communiqué. Une petite révolution. « Zéro émissions nettes, ce n’est pas de la science-fiction. C’est ambitieux, mais on sait comment faire », rassure Stéphane Hallegatte, en détaillant la méthode de l’institution. Celle-ci repose sur quatre piliers.

1. Produire une électricité sans émissions

« La décarbonisation de la production électrique » est le premier chantier mentionné par les économistes de la Banque mondiale. En misant sur l’atome ? Même pas. « L’idée qu’on a besoin du nucléaire pour décarboner l’économie mondiale est une idée fausse », tranche Stéphane Hallegatte. A l’inverse, l’institution présente les technologies de capture et de stockage du CO2 comme incontournables dans une économie décarbonée. Mais la réalisation de cet objectif repose avant tout sur l’essor des énergies renouvelables. Plusieurs indices suggèrent que le pari sera relevé. Pour la première fois l’an dernier, les énergies renouvelables ont dépassé les énergies fossiles en termes de nouvelles capacités de production d’électricité installées à l’échelle mondiale. En France, un récent rapport de l’Ademe (ici en pdf) (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) montre qu’un mix électrique 100% renouvelable en 2050 est un horizon atteignable.

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Réussir ce tournant suppose toutefois de dépasser le manque actuel de rentabilité. « Les premières technologies doivent être développées avec de l’argent public, une subvention du prix au kilowattheure », précise l’économiste. Sur ce plan, l’Allemagne est citée en modèle. Qu’importe si le pays a recours au charbon pendant sa phase de transition, « ce sont les Allemands qui ont payé le développement des technologies (renouvelables, ndlr) et donc l’effondrement des prix. Pour le reste du monde, c’est un bien public fantastique », se réjouit Stéphane Hallegatte. Reste à convaincre les perdants de la transition – industries et pays pétroliers ou gaziers – de suivre cette voie. Résolus à s’en faire « des alliés plutôt que des opposants », les auteurs du rapport plaident pour l’instauration de compensations et l’installation des projets pilotes dans ses zones impactées. Pour Stéphane Hallegatte, « il n’y a finalement qu’un risque : celui de ne pas aller assez vite ».

2. Electrifier massivement pour remplacer les énergies fossiles

Une fois l’électricité sans carbone décuplée, cette source d’énergie devra prendre le dessus sur les énergies émettrices de gaz à effet de serre. Pour la Banque mondiale, ce mouvement de balancier s’appuiera sur « le financement de grands réseaux électriques performants », mais surtout sur la fin des subventions aux énergies fossiles. Plusieurs pays – Ghana, Ukraine, Iran ou Indonésie – ont déjà franchi le pas, souvent pour des raisons financières plus que climatiques. Dans le meilleur des cas, l’argent ainsi économisé a financé des transferts vers les plus démunis ou des extensions de protection sociale. Au Ghana, par exemple, l’école primaire est devenue gratuite. Les économistes de la Banque mondiale misent sur ces bons bilans pour provoquer « un effet d’entraînement ». Paradoxalement, en 2014 encore, des millions de dollars transitaient encore par la Banque mondiale pour financer l’exploration des énergies fossiles, selon un rapport du think tank Overseas Development Institute et de l’ONG Oil Change International, cité par Le Monde.

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3. Améliorer l’efficacité énergique, diminuer la demande

Atteindre l’objectif « zéro carbone » requerra fatalement des économies d’énergie. Pour la Banque mondiale, cela passe notamment par des investissements dans le bâtiment et les transports. Dans un monde sans émissions, les villes seront « plus efficaces, plus denses, mieux desservies en transports en commun », précise Stéphane Hallegatte. Dès à présent, « les villes des pays en voie de développement doivent se construire autour des réseaux de transport public », précise-t-il. Une fois l’objectif posé et la méthode donnée, comment pousser les acteurs, étatiques ou privés, à se l’approprier ? Les économistes de l’institution voient dans les mécanismes financiers, taxes ou marchés carbone, les principaux leviers d’action.

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4. Préserver et accroître les puits de carbone, forêts et sols

Subtilité lourde de sens, la Banque mondiale parle de zéro émissions « nettes ». Ce qui signifie qu’en 2100, si ses préconisations sont respectées, CO2 et méthane seront toujours émis dans l’atmosphère mais dans des quantités inférieures à celles que la terre peut absorber. Cela suppose « la préservation des forêts, de la végétation et des sols », note le rapport. Au-delà des programmes de lutte contre la déforestation, la Banque mondiale envisage la création de zones « d’émissions négatives » dédiées à l’absorption des gaz à effet de serre. Un projet qui risque d’entraîner des conflits d’usage des sols. « Si la valeur de ces terres augmente, il y a des risques d’expropriation », reconnaît Stéphane Hallegatte, qui prône la « mise en place de mécanismes pour s’assurer que les populations installées sur ces terres ne soient pas lésées ». Récemment, la Banque mondiale a été épinglée par le Consortium international des journalistes d’investigation pour avoir entraîné le déplacement, souvent forcé, de trois millions de personnes !

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