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« La forêt amazonienne ne peut pas accumuler plus de carbone »
jeudi, 23 avril 2015 / Cécile Cazenave

Le temps où le poumon de la planète absorbait une partie du CO2 émis dans l’atmosphère semble révolu. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour le climat ! Les explications de Bruno Hérault, spécialiste des forêts tropicales.

La forêt amazonienne ne sera bientôt plus un puits de carbone. Elle perd sa capacité à absorber le CO2. C’est le résultat de l’une des plus vastes études internationales menées sur cette région, à laquelle ont participé trois instituts de recherche français, dont le Centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad). Bruno Hérault y est spécialiste des forêts tropicales. Son analyse, depuis Kourou, en Guyane.

Terra eco : Comment avez-vous procédé pour mener cette grande étude internationale ?

Bruno Hérault : L’étude s’est déroulée à l’échelle de l’Amazonie, en rassemblant une centaine de chercheurs et plusieurs dizaines de laboratoires. Il s’agissait de regrouper l’ensemble des dispositifs d’étude existant sur plus de 300 parcelles forestières et de comprendre ce que ces dispositifs nous disaient de la capacité de la forêt amazonienne à stocker du carbone. Nous savons que dans les décennies 1970, 1980 et 1990, l’Amazonie absorbait une partie du dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère. La forêt stockait. Mais dans les années 2000, plusieurs événements nous ont alertés, en particulier des épisodes de forte sécheresse. Il fallait réexaminer les données sur l’ensemble amazonien. Or, nous avons été surpris. Pendant la décennie 2000, la capacité de stockage de la forêt a, au mieux, diminué de moitié. On ne peut d’ailleurs pas écarter l’hypothèse que la forêt n’ait même rien stocké du tout !

Jusqu’à ces nouveaux résultats, l’Amazonie fonctionnait comme un puits de carbone. Quel était ce mécanisme ?

Imaginez un hectare de forêt amazonienne. Il représente 400 tonnes de biomasse sèche, stockée dans les arbres vivants. Pendant plusieurs décennies, cet hectare de forêt stockait chaque année un peu plus de biomasse. Nous interprétions ce phénomène comme une capacité de l’écosystème à s’adapter. Comme il y avait plus de carbone – c’est-à-dire plus de nourriture – présent dans l’atmosphère, il y avait plus de carbone qui rentrait dans l’écosystème via la photosynthèse. L’arbre, un peu gourmand en quelque sorte, profitait de l’accumulation de ce carbone atmosphérique. L’écosystème s’est mis à fonctionner plus vite : les arbres poussaient un peu plus, devenaient un peu plus gros… Dans les années 1990, la capacité de stockage de l’Amazonie était de 2 milliards de tonnes de CO2 par an. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que, depuis quinze ans, ce mécanisme s’est arrêté. L’écosystème semble désormais saturé. La forêt amazonienne ne peut pas accumuler plus de carbone.

Quel rôle ont joué les grandes sécheresses ?

Si l’on parle de mortalité des arbres, elles ont joué un rôle important. En 2005 et en 2010, l’Amazonie centrale et l’Amazonie du Sud ont subi des épisodes très sévères. L’Amazonie a l’habitude de fonctionner avec une saison sèche régulière, qui dure entre deux et quatre mois par an, selon les endroits. L’écosystème fonctionne ainsi. Le problème, c’est que ces saisons sèches deviennent de plus en plus importantes, à la fois en intensité et en durée. Une partie des arbres ne sont pas capables de survivre à trois ou quatre mois de saison sèche. Les conséquences sont massives. Il faut imaginer qu’à certains endroits de la forêt un arbre sur dix est mort ! L’impact en termes de capacité de stockage du carbone est important. Mais nous avons réalisé l’étude en omettant volontairement ces grandes sécheresses. Et les tendances sont les mêmes ! Ce qui fait la tendance, c’est avant tout un mouvement de fond. L’écosystème ne peut plus grossir.

Les autres forêts tropicales du monde sont-elles entrées dans la même phase de déclin de leur capacité de stockage ?

Nous ne savons pas. En Afrique tropicale, il est difficile d’obtenir des résultats. Le Cirad, par exemple, a installé de gros dispositifs d’études en Centrafrique, à la frontière du Congo. Mais cela fait presque cinq ans que nous ne pouvons pas accéder à ces zones. Les arbres ont peut-être été coupés… En Asie, la dynamique principale, c’est la déforestation pour la plantation de palmiers à huile. Des dispositifs que l’on suivait depuis des dizaines d’années ont parfois été transformés en plantations. Dans ces conditions, c’est très difficile d’avoir du recul. Ce phénomène de saturation se déroule vraisemblablement partout. Ce que l’on ignore, c’est si les niveaux de saturation sont similaires.

Quelles sont les conséquences de cet arrêt du stockage sur les modèles de changement climatique ?

Ce n’est pas une bonne nouvelle ! Pour l’évaluation des changements climatiques dans le passé proche et le futur, nous avons pris en compte cette capacité des écosystèmes de forêt tropicale à stocker du carbone et à amoindrir les effets des rejets anthropiques. Il va falloir réviser cela. Fatalement, nos résultats nous incitent à penser que le réchauffement va être plus rapide que ce que l’on prévoyait.

Maintenant que l’écosystème amazonien est à saturation, que va-t-il se passer pour la forêt elle-même ?

Le dioxyde de carbone n’est pas le seul facteur en jeu dans l’écosystème amazonien ! Il faut également compter avec l’augmentation des températures et le changement de régime des précipitations. En Guyane, on a pris deux degrés de plus en cinquante ans. Or, la photosynthèse a un optimum. Au-delà de cet optimum, elle diminue. L’augmentation des températures et le changement de régime des pluies vont devenir les principaux facteurs de l’évolution de l’écosystème amazonien. On le constate déjà. Dans le Sud, des Etats brésiliens rencontrent de gros problèmes d’eau, les rendements agricoles diminuent… Ces changements de pluviométrie viennent à la fois des changements climatiques globaux, mais aussi des modifications de la couverture forestière qui a des conséquences plusieurs milliers de kilomètres plus loin. Depuis le début du XXe siècle, le massif a perdu entre 15% et 20% de sa couverture. C’est suffisamment important pour avoir des conséquences sur les régimes climatiques locaux.

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