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Aux Etats-Unis, 
des patates OGM sur ordonnance ?
mercredi, 25 mars 2015 / Alexandra Bogaert

Simplot a bidouillé génétiquement la pomme de terre pour préserver votre santé. Elle pourrait débarquer en 2015 dans les assiettes américaines.

Peut-être encore plus que les Belges ou que les Nordistes, l’Oncle Sam aime les frites. Mais – maudits Français – les French fries peuvent constituer une menace pour la santé des Américains. On ne parle là ni d’obésité ni de maladies cardio-vasculaires dues à l’engloutissement de quintaux de patates gorgées d’huile. Il s’agit d’un autre danger : une pomme de terre portée à très haute température produit, sous l’effet conjugué de l’amidon et de l’asparagine (un acide aminé) qu’elle contient, de l’acrylamide. Or, ce composé chimique est reconnu comme « cancérogène avéré pour l’animal et possible pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer. Alors, plutôt que d’inciter à changer de menu ou de mode de cuisson, le monsieur Patate des Etats-Unis, la multinationale Simplot, a trouvé une parade : bidouiller le génome des quatre variétés de tubercules les plus utilisées pour faire des frites ou des chips, afin de réduire leur production d’acrylamide.

C’est une nouvelle tendance. Jusqu’ici, les fabricants d’OGM ont surtout dragué les agriculteurs, avec la promesse de rendements mirifiques grâce à des semences bricolées pour résister aux pesticides. Désormais, changement de cible : ce sont les consommateurs que les géants des biotechnologies tentent de séduire. « On a reproché aux producteurs d’OGM de concevoir des produits qui n’intéressaient qu’eux-mêmes – car ils confectionnent aussi des pesticides -– ou les agriculteurs. Mais ces entreprises vont là où il y a du business à faire et les aliments censés renforcer la santé des consommateurs sont à la mode », explique Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint à l’agriculture de l’Institut national de la recherche agronomique. L’idée d’une « patate OGM santé » a germé voici quatorze ans dans l’esprit de Scott Simplot, fils du fondateur et actuel pédégé de la multinationale. « C’est en 2001 que des chercheurs lui ont proposé de créer des pommes de terre meilleures pour la santé sans introduire de gènes étrangers », nous explique Doug Cole, directeur marketing de l’entreprise.

Rendre silencieux les gènes responsables

La marque Innate, qui signifie « inné » et leur est accolée, insiste sur un point : la barrière des espèces n’est pas franchie. A l’inverse de la transgenèse classique, on n’introduit pas ici un gène de poireau ou de carotte dans une parmentière, on ne manipule que des gènes de pommes de terre. On parle de « cisgenèse ». Concrètement, les laborantins de Simplot rendent silencieux les gènes responsables de la production d’asparagine, en insérant des gènes d’autres pommes de terre, ce qui provoque l’inexpression des traits non désirés. En plus de produire de 50% à 80% d’acrylamide en moins, ces patates ne se couvrent pas de taches brunes en cas de chocs et deviennent moins vite marron une fois coupées. Après neuf années de recherche puis cinq années de tests en laboratoire et dans les champs, Simplot a obtenu, en novembre dernier, le feu vert du ministère de l’Agriculture américain pour une commercialisation de cette première génération de patates OGM. Ne manque plus que celui de la FDA, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, avant que ces « OGM santé » soient les premiers du genre à gagner les estomacs. « Ça devrait être le cas dans le courant de l’année », prévoit Doug Cole. Le marché visé est, dans un premier temps, 100% américain. Pour le moment, McDonald’s et Frito-Lay, le géant de la chips, ont déjà prévenu qu’ils n’en vendront pas. « Ils réviseront leur jugement quand ils auront pris conscience des bénéfices à en tirer », prophétise le porte-parole de l’entreprise. Pour lui, en plus de l’atout santé qu’ils représentent, ces tubercules sont anti-gaspillage – chaque année, plus de 630 000 tonnes de pommes de terre sont jetées par les restaurants, les supermarchés et les particuliers aux Etats-Unis parce qu’elles ont des taches brunes – et s’inscrivent dans une démarche durable.

« Moins de pertes liées à un moindre brunissement, c’est une meilleure valorisation des récoltes pour l’agriculteur qui peut même réduire sa surface de culture. Il a donc moins de travail à fournir, a besoin de moins d’eau pour irriguer et consomme moins d’essence pour le tracteur », estime-t-il. Joseph Guenthner, professeur d’économie de l’agriculture à l’université de l’Idaho (Etats-Unis) et consultant payé par Simplot, va jusqu’à qualifier les quatre variétés de patates Innate d’« OGM verts ». Greenwashing ? Il s’en défend. Lui utilise cette couleur en référence à la cisgenèse, vue plus positivement par les consommateurs que les OGM obtenus par transgenèse et donc colorés, dans sa classification, en rouge. Une image positive liée au fait qu’on ne dit pas clairement aux acheteurs qu’il s’agit d’OGM ? « Nous employons de préférence le terme de ‘‘biotech’’, mieux accepté car il ne souffre pas des mêmes stigmates qu’‘‘OGM’’, rendu effrayant par les activistes », admet Doug Cole. Une étude publiée en décembre par les universités de Caroline du Nord et du Minnesota révèle toutefois que 40% des Américains seraient prêts à acheter des OGM présentant un bénéfice nutritionnel.

Débat minimal

Le nombre relativement faible – 309 – de commentaires laissés sur le site du ministère de l’Agriculture en 2013 au sujet des pommes de terre Innate première génération – comparé aux 1,3 million de commentaires laissés au sujet d’un saumon transgénique – montre que les plantes génétiquement modifiées orientées santé ne font pas plus débat que ça aux Etats-Unis. Ainsi, 130 messages seulement ont été déposés, jusqu’au début du mois de janvier, au sujet de la deuxième génération d’Innate – qui devrait être commercialisée en 2016 et qui sera en plus résistante au froid et au mildiou. « Les universités américaines s’y mettent elles aussi, explique Agnès Ricroch, membre de l’Académie d’agriculture de France, enseignante à AgroParisTech et professeure associée à l’université d’Etat de Pennsylvanie. Car les chercheurs ont des défis à relever. Puisqu’il est difficile d’obtenir des gens qu’ils changent leur alimentation, fument moins et se mettent au sport, il faut trouver des moyens de réduire leur mauvais cholestérol, et par exemple créer des huiles à cet effet, ce qu’on ne parvient pas à obtenir de manière conventionnelle. »

« C’est fou, les industriels vendent une solution soi-disant miracle aux problèmes de déséquilibre nutritionnel qu’ils ont eux-mêmes créés ! », vitupère Christophe Noisette, du site Inf’OGM. « Les OGM orientés santé vont accélérer l’acceptation de cette technologie dans les pays riches comme dans les pays pauvres », prédit Joseph Guenthner. Car ces produits ont vocation à se répandre partout sur le globe. D’ailleurs, Simplot a surtout conçu la marque Innate « par altruisme », indique, sans rire, Doug Cole. La troisième génération de pommes de terre Innate, qui devrait entamer le processus de validation en 2017 pour une mise sur le marché en 2020, aura – en plus des propriétés des générations précédentes – la faculté de résister à divers virus, et même à la sécheresse. « Ce sera une réponse au problème de la faim et de l’accès à la nourriture dans le monde. » Et l’occasion de s’ouvrir de nouveaux marchés dans les pays en voie de développement. Un altruisme tout relatif puisque la technologie Innate est protégée par quatre portefeuilles de brevets. Pour Guy Kastler, membre fondateur et responsable de la commission semences de la Confédération paysanne, « ces brevets couvrent l’ensemble des travaux de recherche et empêchent la parution de travaux indépendants. Ces OGM n’ont donc pas fait la preuve de l’absence de risque ». Tous les grands producteurs d’OGM s’y mettent : aux Etats-Unis, DuPont Pioneer a conçu le soja Plenish sans acide gras trans et Monsanto cherche à commercialiser du soja enrichi en oméga 3. Mais la plupart des OGM santé visent à pallier les déséquilibres nutritionnels dans les pays du Sud. Ainsi, le « riz doré » de Syngenta, chargé en bêtacarotène pour lutter contre les carences souvent sévères en vitamine A qui affectent le système immunitaire et la vision, pourrait être commercialisé l’an prochain aux Philippines. Devrait suivre la banane enrichie en vitamine A et en zinc, financée par la fondation Bill et Melinda Gates.

Pour aller plus loin
- Le site d’Inf’OGM
- Le site de Simplot
- Le site de l’Institut national de la recherche agronomique