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Versailles invente le cimetière aux herbes folles
jeudi, 12 mars 2015 / Cécile Cazenave

Plus de dix hectares de concessions soignées sans pesticides, c’est la gageure relevée par la ville des Yvelines, au cimetière des Gonards. Découverte.

Une grosse menthe fait une tâche verte au pied d’un imposant caveau de famille gris, comme la quasi-totalité des tombes du cimetière des Gonards, à Versailles (Yvelines). La plante aromatique pourrait sembler incongrue, elle est ici bienvenue. A quelques dizaines de mètres, derrière l’alignement de croix blanches des soldats morts pendant la Grande Guerre, du sédum, une plante succulente de rocaille, s’étale le long du mur en meulières. Des fils de fer y ont d’ailleurs été tendus en attendant que les clématites y grimpent. A droite du monument portant l’épitaphe « A nos glorieux morts », le mât du drapeau français est planté dans l’herbe verte. « Avant, c’était des gravillons, maintenant les militaires se mouillent les pieds à chaque 11 novembre », plaisante Cathy Biass-Morin, directrice des espaces verts de Versailles auprès de collègues franciliens venus visiter son cimetière sans pesticides, labélisé « Ecojardin ».

En dix ans, la ville a supprimé les produits phytosanitaires de tous ses espaces verts. Les quatre nécropoles de la commune faisaient encore de la résistance. Gérées par les services de l’état civil, elles sont passés en 2009 dans le giron de ceux des espaces verts et ont dû oublier la chimie. « Les jardiniers, au départ sceptiques, ont fait la transition en un an, explique Cathy Biass-Morin. Aujourd’hui, le cimetière des Gonards, c’est le plus grand espace vert de la ville ! » Allées enherbées pour circuler le long des stèles, plantes autrefois jugées indésirables qui pointent le bout de leur nez entre les pavés et même une prairie fleurie accueillant quatre ruches : sur 12,5 hectares, autour de 14 800 tombes, la nature reprend discrètement mais sûrement ses droits à coté de la pierre familière du cimetière.

Les Français réclament de l’ordre pour leurs sépultures

Les Gonards font encore figure d’exception dans le paysage. Sur 221 sites labélisés « Ecojardin » dans tout l’Hexagone, seule une petite dizaine sont des cimetières. « C’est un espace très contraint, très minéral, le dernier lieu où l’on continue à utiliser des pesticides », explique Aurore Micand, chargée d’étude à l’association Plante & Cité et responsable du label Ecojardin, qui travaille sur une méthode de réhabilitation écologique des cimetières. Et pour cause. Contrairement à nos voisins anglo-saxons qui aiment que leur dernière demeure soit enfouie dans les buissons, les Français réclament de l’ordre pour leurs sépultures. « C’est culturel : il faut que l’environnement des tombes soit propre et sain et, dans l’esprit de tous, cela signifie sans rien qui dépasse », note Jonathan Flandin, chargé de mission écologie urbaine à Natureparif, et auteur d’un tout nouveau Guide pratique de la conception et gestion écologique des cimetières.

Ainsi, en Ile-de-France, alors que 80% des espaces verts se passent désormais de pesticides, 75% des cimetières en utilisent encore. Leur utilisation pour désherber tout ce qui traîne autour des sépulcres peut représenter jusqu’à 20% de la consommation totale d’une commune. Bien souvent, c’est le dernier bastion qui empêche les mairies de clamer qu’elles sont devenues « zéro phyto ». Or, si les cimetières ne représentent que 0,2% de la superficie d’une région comme l’Ile-de-France, leur place est stratégique. « Chaque commune a au moins un cimetière !, rappelle Jonathan Flandin. A l’heure où l’on essaye de faire revenir la nature en ville, cet endroit a un rôle à jouer à l’échelle locale, il peut devenir un maillon des trames vertes destinées à héberger la faune et la flore. Mais encore faut-il qu’il soit accueillant pour celles-ci. »

Plantes vivaces et graminées

Cette hospitalité oblige à quelques tours de passe-passe. Pousser la tondeuse, le brûleur ou la binette dans d’étroits interstices entre une allée et un tombeau relève parfois de la gageure. Pour alléger ces opérations, il faut choisir des plantes mieux adaptées au terrain local et suffisamment robustes pour se passer de soins chimiques. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans avantages. « Les chrysanthèmes, c’était beaucoup de dépenses et d’entretien à l’automne. Nos massifs sont maintenant fleuris pratiquement toute l’année avec des plantes vivaces et des graminées », lance Cathy Biass-Morin. Mais le plus dur reste de convaincre les habitants que personne ne songe à abandonner leurs morts aux mauvaises herbes. A Versailles, il y a bien eu des voix pour s’en inquiéter. « On a fait beaucoup d’affichage et nos jardiniers savent maintenant répondre quand on les questionne explique Magali Ordas, adjointe au maire chargée de l’environnement. Finalement, il n’y a quasiment plus de lettres de reproches. »

Les maires restent malgré tout frileux à l’idée de blesser leurs administrés en laissant le chiendent rôder autour des cénotaphes. « Il faut pour cela changer le regard des gens sur le cimetière, affirme Jonathan Flandin. Comme espace naturel, on pourra toujours s’y recueillir, ce qui est sa vocation, mais aussi s’y promener, par exemple. » A l’entrée de la nécropole versaillaise, les jardiniers mettent la dernière touche à un petit espace fleuri, flanqué de bancs en bois, pour accueillir les riverains désireux de lire au soleil et au calme pendant leur pause déjeuner. Gageons que dans quelques années les enfants joueront dans les herbes folles du cimetière des Gonards.

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