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Les nouveaux résilients (4/7) : la militante antibrûlis
vendredi, 6 mars 2015 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Au Cameroun, l’agriculture sur brûlis fait des ravages et accélère la déforestation. Dans un village du bassin du Congo, des jeunes gens apprennent aux paysans à planter des vergers écologiques et à diversifier leurs revenus.

Ici, le changement climatique n’est encore qu’une épée de Damoclès. Là-bas, il sévit déjà. Sécheresse, dégradation des sols, insécurité alimentaire… Du Togo au Congo, en passant par les Philippines et la Papouasie-Nouvelle Guinée, des populations sont, dans leur quotidien, aux prises avec les conséquences du dérèglement. Pour s’en prémunir ou s’y adapter, des porteurs de projets rivalisent d’inventivité. Ils imaginent de nouvelles sources d’énergie, redécouvrent des plantes, réapprennent à cultiver en milieu aride. Le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l’Agence française du développement (AFD) a lancé le concours Challenge Climat pour récompenser ces initiatives. Terra eco est allé à la rencontre de ces nouveaux résilients.

Pour la Camerounaise Adeline Flore Ngo-Samnick, l’aventure a commencé il y a cinq ans. « J’étais diplômée de sociologie en développement, mais je ne trouvais pas de travail et j’avais besoin d’argent. Alors, je suis retournée dans mon village de Tayap pour cultiver. Avec mes frères, on a travaillé sur notre bananeraie. Mais des voisins, qui pratiquaient la culture sur brûlis, ont mis le feu à 5 hectares de nos terres. C’est là que j’ai décidé qu’il fallait informer la population sur les dangers du brûlis. Mais je ne pouvais pas juste leur dire tout de go d’arrêter, ils ne connaissaient que ça. Il fallait leur montrer comment on pouvait faire autrement », raconte la jeune femme [1], venue présenter son initiative à la presse dans les locaux feutrés de l’AFD, quelques jours avant l’ouverture du Salon de l’agriculture.

60 hectares de terres restaurés

Dans cette région du bassin du Congo parsemée de forêts, la déforestation fait rage : rien que pour le village de Tayap, 1 500 hectares ont été perdus en quinze petites années, notamment à cause de l’agriculture sur brûlis. Cette technique ancestrale, largement pratiquée en zone tropicale humide, consiste à défricher grossièrement la forêt avant de mettre feu aux débris végétaux. Avantage : le paysan peut alors semer ses cultures sans labour. Inconvénient : la terre est fertile peu de temps et doit être ensuite abandonnée à la friche. Or, « la durée de jachère est longue et avec l’accroissement de la démographie, les forêts se réduisent », souligne la jeune femme. En 2010, avec une dizaine d’autres jeunes, elle crée Agripo (Agriculteurs professionnels du Cameroun) pour montrer qu’un autre chemin est possible : « Nous, on leur dit que les jachères disponibles et délaissées peuvent être utilisées différemment pour nourrir la famille et gagner de l’argent. Pas besoin d’aller détruire plus de forêts ».

Crédit photo : Agripo


Pour restaurer les terres abîmées par le feu, Agripo identifie les bons candidats, capables de rendre au sol sa fertilité : des arbres (safou, cola, maobi….) dont les produits non ligneux (fruits, écorces ou feuilles) sont rentables à la vente. Mais ces arbres-là, comment les fournir aux villageois ? Depuis 2014, grâce à l’aide du Fonds mondial pour l’environnement géré par le Pnud (programme des Nations unies pour le développement), une pépinière de 12 500 plants a vu le jour et permet aux agriculteurs d’en disposer gratuitement. Grâce à elle, 60 hectares de terres ont déjà été restaurés dans le village, assure fièrement la directrice générale d’Agripo. En outre, les familles sont encouragées à installer sur une partie de leurs parcelles un verger écologique (cacao, arbres fruitiers, bananiers et cultures vivrières…) : « un patrimoine qui apporte tous les ans de l’argent sans trop d’efforts une fois mise en place », poursuit-elle.

Pépinière de cacao. Crédit photo : Agripo


Réduire la dépendance à la terre

Mais voilà, « pour atteindre la vitesse de croisière d’un verger écologique, il faut du temps : en moyenne cinq ans », souligne Adeline Flore Ngo-Samnick. Alors « il faut trouver aux villageois d’autres alternatives d’activités et de revenus. » Un fonds de microfinance développé par le Pnud leur permet de s’équiper pour s’atteler à d’autres activités. La transformation des ressources produites est une première piste. « Par exemple, une huilerie végétale permet de produire l’huile qui est mieux vendue, au lieu de vendre le produit agricole à l’état brut », poursuit-elle.

Vente de bananes plantains. Crédit photo : Agripo


D’autres projets visent à développer des activités plus loin de la terre : apiculture, artisanat, couture… « Dans les villages, l’exode rural est souvent causé par l’absence d’alternatives à l’agriculture. Or, [le microcrédit] est une occasion d’accroître le nombre de services apportés à une communauté rurale. Par exemple, nous voulons soutenir une boulangerie artisanale au village pour fabriquer du pain localement. Pourquoi faut-il que les populations aillent acheter leur pain en ville ? » S’ils le souhaitent, les villageois peuvent aussi s’engager dans une autre activité, nouvelle dans la région : l’écotourisme.

Car dans sa forêt préservée, parsemée de grottes naturelles et de collines, la communauté de Tayap entend bien attirer des visiteurs. Alors « nous construisons des cases écologiques (deux d’entre elles ont déjà été construites, ndlr) pour amener les gens à découvrir notre village, ses oiseaux endémiques rares (le picatharte chauve, notamment, ndlr)… Elles doivent permettre d’abriter les touristes étrangers avec leurs guides, les Camerounais de Yaoundé qui viennent à la campagne le week-end. Mais aussi les volontaires des ONG. Souvent, quand ils viennent, ceux-là ne savent pas où dormir », souligne Adeline Flore Ngo-Samnick.

Voilà presque cinq ans que le projet a débuté et le bilan est bon, selon sa directrice. Même si les réticences persistent. « C’est difficile de changer les mentalités des gens », avoue la jeune femme. Car les habitants se disent : « Nos parents, nos grands-parents vivaient comme ça. Pourquoi changer ? » Mais voilà, « les populations ne peuvent pas travailler comme autrefois, car les enjeux actuels ne sont pas ceux d’autrefois. Autrefois, l’école était gratuite, elle ne l’est plus. Autrefois, la population était peu importante, elle ne l’est plus. Autrefois, c’était le plein emploi, ce n’est plus le cas. Autrefois, le bois des forêts n’étaient pas vendu à grande échelle, ce n’est plus le cas. Les réponses apportées doivent être à la hauteur des enjeux actuels », conclut-elle.

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