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Les nouveaux résilients (3/7) : le VRP du hanza mal-aimé
jeudi, 5 mars 2015
/ Amélie Mougey
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Au Niger, on dénigre certaines plantes autochtones. Or, elles sont parfois les plus aptes à résister aux épisodes de sécheresse. Josef Garvi s’est donné pour mission de redorer leur réputation.
Ici, le changement climatique n’est encore qu’une épée de Damoclès. Là-bas, il sévit déjà. Sécheresse, dégradation des sols, insécurité alimentaire… du Togo au Congo, en passant par les Philippines et la Papouasie-Nouvelle Guinée, des populations sont, dans leur quotidien, aux prises avec les conséquences du dérèglement. Pour s’en prémunir ou s’y adapter, des porteurs de projets rivalisent d’inventivité. Ils imaginent de nouvelles sources d’énergie, redécouvrent des plantes, réapprennent à cultiver en milieu aride. Le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l’Agence française du développement (AFD) a lancé le concours Challenge Climat pour récompenser ces initiatives. Terra eco est allé à la rencontre de ces nouveaux résilients.
De Gao à Paris, Josef Garvi ne voyage jamais sans ses sachets de hanza : farine de hanza, sablés aux hanza, hanza soufflé. Derrière cette avalanche de produits dérivés, une même plante, originaire des terres arides du Sahel, qui est devenue la marotte de ce Nigérien d’adoption. « Le hanza a de bonnes qualités nutritionnelles et résiste très bien aux épisodes de sécheresse, explique-t-il. C’est un formidable allié face aux effets du réchauffement climatique. » Mais au Niger, le hanza a beau pousser comme du chiendent, ses graines sont très peu consommées. Dans cette région où la malnutrition touche 15% des enfants, l’expatrié travaille à sa réhabilitation.
Josef Garvi parle français avec l’accent nigérien. Grand, blond, ce Suédois a passé les trois quarts de sa vie en Afrique subsaharienne. En créant en 2011 son entreprise sociale, Sahara Sahel Food (SSF), spécialisée dans la transformation du hanza, l’homme de 37 ans marche dans les pas de ses parents, « des idéalistes, qui consacrent leur vie à la lutte contre la désertification et à la malnutrition ». Pour mener ce combat, ils ont misé sur la végétation locale.
« La colonisation a changé les habitudes alimentaires »
L’aventure familiale commence en 1983. Le couple de jeunes parents, alors engagé dans la promotion de l’agriculture biologique en Suède, tombe sur une étude de l’écologue britannique Norman Myers indiquant qu’une part infime des plantes comestibles présentes dans le monde sont consommées. Qu’à cela ne tienne, en 1986, la tribu Garvi part s’installer au Niger et se lance, en collectant des fonds via sa fondation baptisée Eden, dans la culture de plantes vivaces en milieu aride. Le tout sans intrants ni engrais.
Le hanza, lui, n’a pas besoin de l’homme pour proliférer. « Il pousse partout spontanément, mais comme personne ne reconnaît sa valeur, il est massivement défriché », déplore Josef Garvi. Qu’importe ses précieuses propriétés, son nom fait grimacer la population nigérienne. Le goût amer de ses graines n’est pas le seul en cause. « Dans l’esprit des gens, la plante est associée aux périodes de famine, elle est synonyme de malnutrition », déplore Josef Garvi. Parfois désignée comme une baie toxique par les médias et les ONG, l’aliment a été totalement discrédité. « Ces accusations sont fausses : sur le plan nutritionnel, le hanza est un équivalent céréalier », s’emporte son plus fervent partisan.
Les racines de ce désamour sont encore plus profondes. « La colonisation a changé les habitudes alimentaires locales. Les colons ont méprisé les plantes indigènes, alors, au nom de la modernité, les populations s’en sont à leur tour détournées, soupire Josef Garvi. Le drame, c’est qu’il s’agissait évidemment des plantes les mieux adaptées au climat. » Leur abandon ne pouvait qu’accroître les risques de malnutrition.
« Nul n’est prophète en son village »
De son adolescence, Josef Garvi garde en mémoire les images des corps décharnés des gamins des villages voisins : « Au Niger, la famine a été très médiatisée en 2005, mais cette situation, accentuée par la désertification, est chronique depuis au moins vingt ans. » A l’action ponctuelle des ONG, le trentenaire préfère un retour à l’autosuffisance. « La seule faiblesse du hanza, c’est qu’il ne se mange pas tel quel, il faut le laisser tremper quatre ou cinq jours pour qu’il perde son amertume. Or, ce savoir-faire a quasiment disparu », précise-t-il. Pour lui redonner du goût et de la valeur, les porteurs du projet Sahara Sahel Food s’emploient, dans leur petite usine nigérienne, à le changer en couscous ou en farine. Leur stratégie est la suivante : racheter le hanza aux populations locales à bon prix, lui donner ainsi une valeur marchande et freiner les envies de défricher. « Aujourd’hui, près de 500 personnes tirent un revenu de cette activité de cueillette », souligne Josef Garvi. Reste à convaincre les populations locales d’en consommer.
« Nul n’est prophète en son village : un ami nigérien qui a essayé de réhabiliter le hanza s’est fait rire au nez », sourit Josef Garvi. Lui a donc parié sur sa blondeur et son air d’éternel étranger. « Si moi, qui suis différent, je m’intéresse au hanza, les gens commencent à s’interroger », explique-t-il. A cet atout s’ajoute une connaissance profonde de la population et de ses traditions. « Pour convaincre, je rappelle qu’il y a à peine quelques décennies on offrait du hanza en cadeau aux jeunes mariés. Vous pensez qu’on aurait offert une plante synonyme de malnutrition ? »
Pour l’heure, Sahara Sahel Food reçoit plus de hanza qu’il ne vend de produits transformés. « Je suis un chef d’entreprise bénévole qui ne fait pas de profit », précise le porteur du projet, un brin inquiet. Mais face aux menaces que fait peser le changement climatique sur la région, l’homme est convaincu que la population ne pourra se passer de cet ingrédient clé. L’intérêt des pays voisins pour son projet lui donne des raisons d’espérer. « C’est un travail de longue haleine. L’enjeu, c’est de changer les manières de penser. »
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