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Arche de Noé verte : un gadget ?
lundi, 3 mars 2008 / Louise Allavoine

L’île norvégienne de Spitzberg, située au milieu de l’océan Arctique à 1120 km du Pôle Nord, abrite désormais un bunker-congélateur destiné à protéger la plupart des semences de la planète de potentielles catastrophes. Le projet soulève pourtant des réactions mitigées quant à son intérêt pour sauvegarder la biodiversité.

De la montagne glacée sort une grande porte en béton armé. Derrière, un tunnel long de 100 mètres débouche sur trois grandes chambres froides maintenues à -18°C. Elles abriteront les semences conservées dans les 1400 banques de gènes réparties à travers la planète. Objectif : assurer la survie pendant des milliers d’années des doubles de 4,5 millions d’espèces végétales. Le Svalbard Global Seed Vault (Chambre forte mondiale de graines du Spitzberg) est un bunker qui doit pouvoir résister à une attaque nucléaire et sauver les graines d’une montée du niveau de la mer. Il fonctionne même en cas de panne d’électricité, grâce à la température naturelle de -6°C du permafrost de l’archipel.

Salle du trésor

La presse parle d’une "Arche de Noé végétale". José Manuel Barroso, lui, préfère la métaphore du "Jardin d’Eden gelé". Le président de la Commission européenne qui inaugurait mardi 26 février le bunker végétal au côté de la militante écologiste kenyane et Prix Nobel de la paix Wangari Maathai, a parlé de "grande symbolique" et précisé qu’il espérait que "tout ça ne [serait] guère nécessaire". Seulement "dans la vie, il faut espérer le meilleur et préparer le pire" a-t-il formulé. Le pire pour la diversité végétale ce serait ? "Les guerres, les tempêtes et le manque de financement" d’après Julien Laird, directeur du développement au sein du Fonds fiduciaire mondial pour la diversité des cultures (Global Crop Diversity Trust). La banque de semences universelle de Spitzberg serait "l’ultime ressource en cas de désastre planétaire".

Le projet fait pourtant quelques sceptiques. Interrogé sur l’intérêt de cette "Arche de Noé verte" à l’occasion d’une conférence donnée à Nantes le 25 février, l’astrophysicien Hubert Reeves a déclaré lui prêter une valeur symbolique plutôt qu’une réelle utilité. Selon lui, "c’est une bonne idée à la base, mais ça ne va pas nécessairement marcher puisqu’on ne peut pas réutiliser une espèce sans son environnement". Avec le temps, le milieu et le climat évoluent et les semences bloquées par la congélation ne seront plus adaptées nous a expliqué Raoul Jacquin, porte-parole de l’association Kokopelli qui défend les variétés anciennes. "Les semences ont besoin d’enrichir leur patrimoine génétique pour survivre. Le meilleur moyen de les sauvegarder c’est de les cultiver, pas de les congeler."

Il dénonce, au delà du coup médiatique, la volonté de sociétés privées d’avoir la main-mise sur le vivant. Ont investi dans ce "coffre-fort de l’apocalypse" la fondation Bill Gates à hauteur de 20 millions d’euros, les géants de l’agrochimie Monsanto et Syngenta et la fondation privée Rockefeller. Par altruisme ? Raoul Jacquin en doute. Spitzberg réunira les espèces de la plupart des cultures vivrières mondiales. Autant dire que ce sera la caverne d’Ali Baba version pôle Nord. Qui a donc les clés de la salle du trésor ? Le gouvernement norvégien, qui a construit le souterrain pour la modique somme de 6 milliards d’euros est le garant du site. Il partage néanmoins ce pouvoir avec l’entité privée Global Crop Diversity Trust qui est chargée de l’acheminement des graines. Et "rien ne garantit que des changements de politiques importants n’interviennent en Norvège" met en garde sur son site Internet l’ONG internationale Grain.

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Crédit Photo : Mari Tefre/Global Crop Diversity Trust


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