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Planter des arbres pour éviter les accidents ? L’idée que Bernard Cazeneuve n’a pas eue
mardi, 10 février 2015 / Amélie Mougey

Le platane au bord de la route n’est plus seulement synonyme de tôle froissée. Au Royaume-Uni, il sert à apaiser le comportement des automobilistes. En France, on planche sur le sujet, mais l’abattage est encore loin d’être écarté.

Réduire la vitesse, baisser l’alcoolémie et pourquoi pas… planter des arbres. L’allée de platanes longtemps jugée coupable d’encastrements pourrait désormais rimer avec sécurité. Depuis une quinzaine d’années des ingénieurs français planchent, au sein du Cerema (Centre d’étude et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), sur l’utilisation du paysage pour modifier le comportement de l’automobiliste. Au Royaume-Uni, le comté de Norfolk a mis cette idée en pratique avec succès dès 2010. Mais la mesure, vertueuse sur le plan de la biodiversité et de la préservation du patrimoine culturel que sont nos allées centenaires, n’a pas trouvé sa place dans le nouveau plan de sécurité routière annoncé par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, le 26 janvier. Pire, de nouveaux abattages pourraient être programmés. Dominique Guy, chargée d’études en paysage et aménagement au Cerema, voit dans cette approche une « solution de facilité ». Voici trois raisons de ne pas y céder.

1. L’arbre montre la voie

Disposés en file indienne, merisiers, bouleaux et platanes permettent de visualiser à distance la route qui serpente. Idéal pour anticiper. Ainsi, lorsqu’une petite départementale débouche sur une grande nationale, les arbres qui bordent la plus petite voie « permettent à l’automobiliste qui roule sur la voie principale d’identifier l’intersection », explique Matthieu Holland, au Cerema. Dans le même temps, « ils réduisent la visibilité de l’automobiliste qui arrive par la voie secondaire, ce qui l’incite à aborder le croisement plus prudemment », poursuit le responsable de la division de la sécurité et de la conception. En indiquant implicitement une intersection, une différence de dénivelé, une entrée d’agglomération, les arbres jouent donc un rôle crucial pour rendre le parcours lisible à l’automobiliste. Ce faisant, ils améliorent sa sécurité. De fait, trois défaillances de conducteur sur quatre sont dues à « un mauvais prélèvement et traitement d’informations », indique le rapport « Paysage et lisibilité de la route », publié par le Service d’études techniques des routes et autoroutes (Sétra), aujourd’hui absorbé par le Cerema.

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Dans ce même document, les chercheurs soulignent que « le paysage, souvent modifié pour des besoins de sécurité routière, peut aussi être créé, composé, conservé pour les besoins de la sécurité routière ». 2. L’arbre maintient l’attention

Rien de tel qu’un paysage monotone pour se laisser happer par ses pensées et faire une embardée. Pour maintenir la vigilance de l’automobiliste, le rapport du Sétra préconise donc d’alterner, tout au long du parcours, les zones où le conducteur ressent une impression de de contrainte et celles où il ressent une impression de confort. « Quand un automobiliste roule dans un milieu trop ouvert, il perd ses repères par rapport à la vitesse », détaille Matthieu Holland. On parle alors de séquences. « Après une séquence où le paysage est très ouvert, une séquence avec un alignement d’arbres constitue un moyen efficace de lui faire reprendre une attitude plus attentive. » A minima, la présence d’arbres empêche donc les accélérations inconscientes.

3. L’arbre incite à lever le pied

« Quand il roule au milieu des arbres en fleur, l’automobiliste ralentit », soutient Chantal Pradines, experte auprès du Conseil de l’Europe sur les questions de paysage. Ce comportement d’esthète a été mis en lumière par plusieurs études. Dès 2001, des chercheurs suédois s’interrogent : « Les beaux environnements routiers sont-ils plus sûrs que les laids ? » (1). Au cours de leurs travaux, ils s’aperçoivent que les automobilistes roulent à une vitesse 5% inférieure quand ils sont en présence d’arbres. Ils concluent donc que le caractère esthétique de la route a un effet sur la conduite. Plus tard, des études sur simulateurs ou en situation, réalisées par des équipes américaines (2) confirment cette conclusion.

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Plus efficace encore, en jouant sur l’implantation des arbres, en peut accentuer leur effet sur la conduite. L’expérience a été menée dans le comté de Norfolk, dans l’ouest de l’Angleterre. Les autorités on décidé de planter des allées d’arbres en réduisant progressivement leur espacement. Résultat : à vitesse constante, l’automobiliste a la sensation d’accélérer. Autre stratégie : planter les arbres en entonnoir à l’entrée du village. En clair, plus on se rapproche, plus l’arbre est planté près de la route. Cette tactique donne l’impression d’un rétrécissement de la chaussée qui pousse le conducteur à adapter sa conduite. Dans le comté de Norfolk, les autorités se félicitent d’une « méthode bon marché » qui leur a permis de réduire de 20% la mortalité.

(1) Drottenborg, H. : Are Beautiful Traffic Environments Safer than Ugly Traffic Environments ? Lund Institute of Technology, 2002

(2) Naderi, J.R., Kweon, B.S., Maghelal, P. : The street tree effect and drivers safety. ITE Journal on the Web, February 2008, p. 69-73



L’arbre, bouc émissaire de la sécurité routière ?

Depuis l’avénement de l’automobile, les arbres d’alignement font les frais du risque d’accident. Au cours du siècle passé, certaines régions en ont perdu jusqu’à 90%. Chantal Pradines, experte auprès du Conseil de l’Europe sur les questions de paysage, parle d’une « hécatombe » et d’un « patrimoine en péril ». Le mouvement s’est accéléré dans les années 1990. « Rien que dans le Gers, entre 2 000 et 3 000 arbres ont alors été abattus », déplore Chantal Fauché, présidente de l’association Arbres et Route.

A l’époque, ces abattages massifs répondent à la volonté de créer une « route qui pardonne ». En clair, puisque l’erreur humaine ne peut être totalement supprimée, les conséquences d’une sortie de route doivent être limitées via l’aménagement des bas-côtés. Or, « les arbres sont impliqués dans 10,6% des accidents mortels, on ne peut pas en faire abstraction », estime Matthieu Holland, qui préconise le « traitement » – suppression ou glissière de protection – des obstacles situés à moins de quatre mètres de la chaussée. Cette approche, également préconisée par le président du Conseil national de la sécurité routière, déplaît profondément à Chantal Pradines : « Pourquoi, dans ce cas, ne pas détruire les maisons en bord de route, interdire les vélos et les piétons ? », demande l’ingénieure.

Reste que le choc d’une voiture contre un arbre est violent. Trois fois plus qu’une collision avec un autre véhicule. Une bonne raison de faire passer la sécurité au dessus des considérations de patrimoine et de biodiversité ? Dans l’absolu, Chantal Pradines ne s’y oppose pas, « à condition que les individus fassent le même arbitrage, glisse-t-elle. Mais si chacun plaçait la sécurité au-dessus de tout, personne ne prendrait plus sa voiture, les transports en commun étant beaucoup plus sûrs. »

A la notion de « route qui protège », Chantal Fauché préfère celle de « route qui apaise », une logique de responsabilisation de l’automobiliste renforcée depuis 2006. Si l’approche est en train d’évoluer, les arbres d’alignement ne sont pas saufs pour autant. « Les audits de sécurité » mentionnés dans les mesures annoncées par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, peuvent déboucher sur des suppressions d’obstacles. « En cas d’accident, abattre un arbre, c’est une mesure visible, médiatisable, qui, en prime, évite les frais liés à leur entretien », lâche Chantal Fauché.


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