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Le prix du pétrole dégringole : faut-il s’en réjouir ?
mardi, 27 janvier 2015 / Stéphanie Frank

Avec le plongeon des cours, le monde du brut doit renoncer à ses projets les plus coûteux… qui sont aussi les plus polluants. Revers de la médaille : puisque la ressource ne coûte rien, personne n’a envie de s’en priver.

Ce n’est plus une baisse, c’est une dégringolade, une débâcle, un effondrement… Les analystes ne savent plus comment qualifier la chute du prix du pétrole, qui a perdu près de 60% en six mois. Et les économistes de l’Agence internationale de l’énergie ne le voient pas remonter de sitôt. Pourquoi ce plongeon ? Essentiellement parce que la production ne cesse d’augmenter alors que, depuis la crise de 2008, la consommation ralentit. Ce qui est nouveau, c’est qu’elle ralentit non seulement dans les marchés matures, comme l’Europe, mais aussi dans les marchés émergents, notamment en Asie.

Trop de pétrole, pas assez de demande… La solution pourrait consister à réduire la production. Or, l’Organisation des pays producteurs de pétrole (Opep) s’y refuse catégoriquement. Dans sa ligne de mire : la concurrence des hydrocarbures non conventionnels (pétroles lourds, sables bitumineux, gaz de schiste…), que les Américains produisent en abondance, mais à un prix de revient deux ou trois fois supérieur à celui de leur concurrent conventionnel. En maintenant une forte production, et donc des prix bas, l’Arabie Saoudite, qui mène la danse à l’Opep, espère les marginaliser et reprendre sa place de premier producteur mondial d’hydrocarbures, abandonnée aux Etats-Unis depuis un an.

Un sursis pour l’Arctique ?

Pendant ce temps, les compagnies pétrolières perdent gros. « Pour limiter les dégâts, toutes élaguent leur production de pétroles non conventionnels », explique Guy Maisonnier, ingénieur économiste à l’Institut français du pétrole Energies nouvelles. Coup de chance, ce sont aussi les plus polluants ! Ainsi, le canadien Suncor, spécialiste des sables bitumineux, très chers à extraire, vient de geler l’expansion de deux de ses projets. Ceux situés dans des zones difficiles d’accès, comme l’Arctique, sont aussi mis de côté. La compagnie norvégienne Statoil vient, elle, de renoncer à trois licences d’exploration au Groenland, ayant conclu, après y avoir mené des recherches sismiques et des études sous-marines, qu’il n’était pas rentable de pousser plus avant. Le français GDF Suez et le danois Dong Energy auraient également rendu leurs licences pour les mêmes raisons.

« Dans ces zones, il faut adapter les technologies aux conditions climatiques extrêmes, les infrastructures sont éloignées, on ne peut pas travailler toute l’année… Tout cela peut amener le prix de revient du baril jusqu’à 100 dollars (88 euros) », détaille Guy Maisonnier. Des investissements inutiles lorsque celui-ci s’échange à 45 dollars (40 euros) sur les marchés. Le « deepwater », c’est-à-dire les forages ultraprofonds, au-delà de 1 500 m de hauteur d’eau, fait également les frais de ce retrait. Voilà qui tombe bien : une étude britannique publiée récemment dans la revue Nature montre que, pour maintenir le réchauffement de la planète en-dessous de 2°C, il faudrait laisser inexploitées un tiers des réserves de pétrole – et aussi la moitié des réserves de gaz et plus de 88% de celles de charbon.

Les énergies renouvelables continuent à vivre leur vie

Alors, le pétrole pas cher, une chance pour le climat ? Pas si sûr. Car lorsque l’énergie ne coûte pas grand-chose, on n’hésite pas à en consommer plus ! Ainsi, les ventes de voitures aux Etats-Unis ont grimpé de façon spectaculaire en décembre : General Motors et Chrysler annoncent une augmentation d’environ 20% par rapport au même mois en 2013. Les pick-up et les SUV, ces 4x4 de ville gros consommateurs de carburant, représentent plus d’un tiers des nouvelles ventes et le cabinet d’étude Bloomberg New Energy Finance prévoit une baisse des ventes de véhicules électriques.

La baisse du prix du pétrole menace-t-elle carrément la transition énergétique ? « Je ne crois pas, rassure Carole Mathieu, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Avec le boom des pétroles non conventionnels, on a renoncé à l’idée que la rareté serait le moteur de la transition. Dans les pays où elle est très ancrée dans les politiques publiques, comme en Europe, cela ne changera rien. » De fait, les décisions d’investissement dans les énergies renouvelables ont dans le même temps augmenté de manière spectaculaire : +16% dans le monde en 2014. « Les investisseurs s’engagent dans ces filières parce qu’il y a un vrai business », remarque Frédéric Tuillé, membre de l’Observatoire des énergies renouvelables. La baisse imprévue du prix du pétrole pourrait même prouver l’intérêt du développement des renouvelables : « On profiterait d’un marché bien encadré et plus prévisible, où le coût du combustible n’est pas soumis à des variations, explique Carole Mathieu. Cela pourrait même être l’occasion d’introduire une fiscalité environnementale, moins douloureuse pour le consommateur au moment où le prix de la ressource est bas. » Chiche ?

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